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Quel avenir pour les enfants des rues de Jakarta?

70 000 enfants dans les rues à Jakarta. C’est un triste constat dans un pays où l’enfant est traditionnellement roi. Qui ne s’est émerveillé de la jeunesse de la population dans l’archipel, de la fierté lue dans le regard des parents devant leur progéniture prenant pour la première fois le guidon de la bebek familiale à 3 ans ? Pourtant, l’envers du décor est bien réel. Des milliers de familles immigrent de façon illégale à Jakarta dans l’espoir, sinon d’y faire fortune, du moins d’y vivre mieux ; ils y trouvent conditions de vie précaires, paupérisation et parfois même un cercle vicieux de criminalité et de violence.

Orphelins véritables ou enfants abandonnés à la mendicité par des parents ne pouvant plus subvenir à leurs besoins, la situation est la même pour tous : la vie des enfants des rues est de plus en plus dure. Exploités par la mafia, la plupart d’entre eux entament une « carrière de la rue », gentil euphémisme pour désigner une vie faite de vols, de drogues et finalement, d’inhumanité. Si les enfants des rues jouissent de la compassion des populations locales un temps, l’aumône ne leur est plus faite lorsqu’ils grandissent. Ils en viennent alors à exploiter les plus jeunes à leur tour. Heureusement, certains s’émeuvent de cette situation insoutenable pour des petits d’homme et dédient leur vie à enrayer cette spirale infernale. Reni et Falli sont de ceux-là. Fils du fondateur du centre KDM de Cibubur, Falli dirige l’orphelinat depuis seize années. Son épouse Reni, médecin de profession, l’accompagne dans cette lourde tâche. Ils hébergent actuellement environ 180 enfants, dont 15 petites filles.

L’histoire de KDM remonte à 1963, quand le père de Falli a créé ce qui était à l’époque un centre d’accueil pour sans-abri. Pour apprécier pleinement l’action, il faut réaliser qu’à l’époque en Indonésie, s’occuper des nécessiteux en leur ouvrant un lieu d’accueil était à la fois extrêmement novateur et perçu comme une activité des plus bizarres aux yeux de chacun. Ce refuge du bout du monde, sans route d’accès ni électricité, s’est progressivement mué en orphelinat, alors qu’il était peu à peu relié à la civilisation. Les enfants de KDM accueillent les étrangers avec curiosité et de larges sourires. On imagine mal leur passé tant ils semblent apaisés en ce lieu. Tous ont été maltraités. Un bambin âgé de deux ans, Jesen, accourt en barboteuse, traînant derrière lui son jouet : des policiers l’ont amené au centre il y a un an car il était battu par son père. Difficile de ne pas se laisser attendrir au récit des drames qui ont frappé ces enfants. A leur âge, leur unique préoccupation devrait être leur prochain match de foot…

Et pourtant, Reni et Falli doivent faire preuve d’une grande fermeté et de beaucoup de patience pour les apprivoiser et leur inculquer quelques règles de base de vie en société. Reni confie qu’il faut très souvent renommer les enfants qui arrivent, car ces derniers sont traumatisés au point de ne confier leur nom à personne pendant des mois. Pas plus qu’ils n’évoquent leur famille, leur vie antérieure, ou les sévices qu’ils ont subis. Le petit Rizki, qui doit avoir environ 5 ou 6 ans, n’a toujours rien lâché de son identité, quand bien même il vit ici depuis une année. Rizki est le prénom qui lui a été donné à son arrivée : un nouveau nom pour une nouvelle vie ?

L’orphelinat n’est ni une prison ni un centre de redressement : les portes sont ouvertes et chacun est libre d’en partir. C’est d’ailleurs ce qui se passe souvent à l’arrivée d’un nouveau pensionnaire. Le premier défi est de convaincre les enfants d’abandonner leur lieu de vie. Il leur est en effet pénible d’accepter la contrainte quand ils ont goûté à la liberté de la rue, si violente soit-elle : pas de scolarisation, sexualité libre, drogues, etc. Tous vivent dans l’instant présent et ne parviennent guère à se projeter dans l’avenir. Ainsi, les responsables du centre se sont aperçu que des enfants avaient revendu leur tenue de rechange pour se procurer des cigarettes. Le travail de reconstruction de ces petites victimes est parfois difficile faute de moyens : désintoxication « violente » du jour au lendemain pour les drogués, scolarisation et activités extrascolaires liées à la contingence du bénévolat…

Le but affiché est de leur permettre d’occuper un petit emploi lorsqu’ils sont tenus de quitter l’orphelinat à l’âge de 16 ans. Formations, recherche de sponsors qui acceptent de donner leur chance à ces jeunes : la route est longue et parsemée de grandes joies tout autant que de grandes peines pour les adultes qui les ont vus grandir et lutter contre leurs démons internes. Ce dur métier suppose d’accepter l’échec ; par exemple cette jeune fille placée dans un salon de beauté puis renvoyée par la propriétaire qui avait émis une condition à son emploi : ne pas amener de drogue sur son lieu de travail. Quelle victoire toutefois lorsque le grand frère de Munah, mon guide pour la journée, apprend à lire en quelques mois seulement ! Reni évoque le retour des anciens pensionnaires : « Quand ils ont des problèmes, mais aussi pour des évènements importants de leur vie ou le Nouvel An… Car ici, c’est leur maison, leur famille. »

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