Le président indonésien souhaite faire adopter en 100 jours sa loi d’ensemble sur la création d’emplois par le Parlement. Celle-ci doit simplifier la manière de faire des affaires en Indonésie et permettre l’augmentation nécessaire des investissements pour soutenir la croissance et l’emploi. Mais elle se heurte à l’opposition d’associations et des syndicats.
A la mi-février, le gouvernement a soumis au Parlement sa loi omnibus sur la création d’emplois, espérant une fin des débats dans les 100 jours et donc une adoption de cette loi majeure et controversée au mois de mai. Cette loi d’ensemble de plus de 1000 pages permettrait l’amendement de 73 lois existantes qui selon le gouvernement empêchent l’Indonésie d’exploiter au maximum son potentiel de croissance.
Le temps passe devant l’image de réformateur du président Jokowi et 2020 semble être l’année pivot depuis son arrivée au pouvoir en 2014. En poussant son agenda de réformes pro-investissement, Jokowi est confronté à un dilemme qui rappelle celui d’Emmanuel Macron en France : avancer vite ou avancer avec tous.
L’Indonésie tente de passer d’un modèle de croissance, basé sur les ressources naturelles et la consommation, à un autre qui se reposerait sur les industries à valeur ajoutée. Pour ce faire, le pays a besoin de réformes fondamentales de sa structure politico-légale parce que la plateforme pro-croissance et pro-investissement nécessaire à la création d’emplois ne peut coexister avec un système de travail rigide et autres barrières fiscales et légales. Mais en agissant ainsi, le président se heurte aux perdants potentiels de cette réforme, ceux dont les protections généreuses du droit du travail actuel seraient diminuées.
Pour que l’Indonésie redevienne une destination attrayante pour les investissements et pour que les effets des réformes soient visibles avant la fin de son dernier mandat, Jokowi doit agir maintenant. Il a reçu un mandat fort de la part des Indonésiens en 2019 et s’est justement autorisé à construire une coalition très large (environ 74% des sièges au parlement) avec des ennemis d’hier afin d’obtenir le soutien législatif nécessaire à ces réformes. L’influence des partis est désormais diluée dans sa coalition et le président a l’opportunité de passer outre les menaces ou intérêts d’un parti, fût-ce le sien.
La loi omnibus doit permettre entre autres de mettre fin à trois écueils recensés par le gouvernement dans la paperasserie liée aux investissements, à savoir l’obtention de licences, celle de terrains et les réglementations. La nouvelle loi rassemblerait toutes les réglementations contradictoires sous un toit et le régime des permis dans un processus d’application unifié.
Cependant, d’autres efforts pour amender la loi de 2003 sur le travail ont été vigoureusement rejetés par les représentations syndicales. La partie emploi de la loi d’ensemble prévoit en effet d’être fondée sur le principe d’heures flexibles, et de facilité à embaucher et à licencier. Les travailleurs ont des préoccupations légitimes. L’équipe en charge de la rédaction de la loi omnibus est très largement dominée par les intérêts des entreprises et de la Chambre du commerce et de l’industrie indonésienne (KADIN).
Les syndicats ont donc fait part de leur mécontentement dans la rue, avec une mobilisation néanmoins limitée. Et Prabowo, qui leur avait promis une politique en leur faveur pendant la campagne présidentielle, est maintenant dans le gouvernement de Jokowi à un poste enviable.
Outre le droit du travail, la loi omnibus doit aussi relâcher les standards environnementaux dans les activités économiques. Seules les entreprises ayant un fort impact environnemental, social, économique et culturel devront avoir recours à une analyse d’impact environnemental, dont les experts environnementaux seront exclus. Et celle-ci ne pourra plus être remise en cause par les populations autochtones.
La fameuse liste négative d’investissement, qui dénombre les secteurs fermés à l’investissement direct étranger, doit être à nouveau ouverte dans plusieurs domaines, et les étrangers seront autorisés à occuper davantage de postes qu’ils ne le sont actuellement.
Le recours à la sous-traitance va aussi être facilité, favorisant l’utilisation de travailleurs freelance. De plus, les industries à forte main d’œuvre ne devraient plus avoir à respecter le salaire minimum régional légal. Les gouverneurs auront la latitude de calculer le salaire minimum selon d’autres critères. Les petites et micro-entreprises ne seront pas non plus soumises au salaire minimum, avec pour seule obligation de payer leurs travailleurs au-dessus du seuil de pauvreté.
Les travailleurs n’auront plus la possibilité de contester les raisons de leur licenciement devant une cour spécialisée, mais sera créé un programme de sécurité sociale des licenciés sous l’égide du BPJS (Sécurité Sociale), pour ceux qui sont à jour de leurs cotisations.
En lieu et place des indemnités de licenciement en vigueur actuellement, un mécanisme de bonus unique sera appliqué pour les employés licenciés dans les moyennes et grandes entreprises, en fonction de leur ancienneté.
Les prérogatives du gouvernement central seront aussi renforcées, celui-ci pouvant changer les lois par décret pour tout ce qui facilite la création d’emplois, au détriment des gouvernements régionaux dont les réglementations vont trop souvent à l’encontre des lois nationales et des intérêts des investisseurs. Un fonds d’investissement souverain doit également être créé, celui-ci étant placé sous l’autorité du ministre des Finances.
Le président Jokowi, à travers cette très large loi d’ensemble sur la création d’emplois, tente donc de profiter de son momentum politique dans sa première année post-réélection. Face à lui, se dressent les masses de travailleurs indonésiens qui ont beaucoup à perdre de leurs protections actuelles et aussi plusieurs groupes de la société civile qui redoutent les effets de cette loi sur l’environnement. Tous reprochent au Président son manque de consultation du public. Reste à voir si les opposants vont parvenir à agréger l’ensemble des rancœurs et si Jokowi choisira d’avancer vite ou d’avancer avec tous. Il est souhaitable pour l’Indonésie qu’il parvienne à trouver un compromis entre ces deux options, sous peine de se retrouver dans une situation aussi inconfortable que la France d’Emmanuel Macron.
Jean-Baptiste Chauvin