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Islam indonésien, montée de l’intolérance?

Islamisme, islamisation, fondamentalisme. Les termes ne manquent pas pour évoquer les dérives des extrémistes musulmans. En Indonésie comme partout ailleurs. C’est un des paradoxes de l’archipel : bien qu’extrêmement minoritaire en nombre dans le plus grand pays musulman de la planète, cette frange radicale est incroyablement active sur les terrains politique et médiatique. Ne revenons pas sur la Jemaah Islamiyah, son terrorisme et son objectif d’établir un état musulman couvrant une grande partie de l’Asie du Sud-est. Mais récemment, le très célèbre FPI (Front de Défense de l’Islam) a encore fait parler de lui. Il a d’abord empêché la tenue d’un colloque sur les minorités sexuelles. Certains de ses membres sont ensuite violemment intervenus à Surabaya pour mettre fin à une réunion de santé publique à laquelle assistaient des députés et qu’ils croyaient être un rassemblement de communistes. Le tout sous les yeux de la police (complice ?) qui n’a pas jugé bon d’intervenir. Enfin, ces mêmes membres ont exigé, semble t-il avec succès, qu’une statue située à Bekasi soit démantelée et déplacée. Celle-ci met en scène trois femmes ( Tiga Mojang) dans une tenue qui révèle leur corps et le FPI l’accuse également de représenter la Trinité chrétienne. Chacun sait en effet que la Sainte Trinité est composée de trois femmes dénudées…

Depuis la loi d’autonomie régionale de 1999, de nombreuses provinces indonésiennes ont également fait passer des ordonnances locales inspirées de la Sharia, la loi coranique. Celles-ci régissent la morale et les comportements privés des concitoyens, au plus grand mépris de la constitution indonésienne et du principe national fondateur du Pancasila, qui met en avant la liberté individuelle et donc la liberté religieuse. On compte officiellement plus de 160 de ces ordonnances sur l’ensemble du territoire. Elles interdisent aux hommes et femmes non mariés de se retrouver ensemble dans des lieux et à des moments inappropriés selon la norme musulmane et la décence (Gorontalo, 2003). Elles obligent les individus à indiquer aux autorités tous comportements considérés comme immoraux (Sumatra-Ouest, 2001). Elles exigent des élèves qu’ils aient un diplôme de lecture du Coran afin d’accéder à l’enseignement secondaire (Padang, 2003). L’islam n’est pourtant pas une religion d’Etat. Alors quid des minorités religieuses, des hindouistes balinais aux millions de chrétiens disséminés sur le territoire, en passant par des minorités musulmanes comme l’Ahmadiyah qui ne reconnaissent pas Mahomet comme le dernier prophète et sont des lors considérées comme hérétiques et pourchassées ? Pour ne pas faire respecter le droit de chacun à la différence religieuse et à la liberté de culte, l’Etat indonésien pourrait avoir à faire face à une recrudescence des conflits inter- religieux. Les derniers en date, meurtriers, ne sont pourtant pas si éloignés de nous dans le temps.

« Car la tolérance religieuse est encore une notion très largement partagée en Indonésie. Jamais, depuis qu’ils votent librement, les Indonésiens n’ont souhaité que les partis religieux, et en premier lieu musulmans, n’exercent le pouvoir ou ne soient majoritaires. »

En attendant, la tension monte en banlieue de Jakarta. Depuis le début de l’année, les foules en colère de Bekasi ont fermé plusieurs églises par la force. La raison invoquée généralement est le prosélytisme bien connu des différentes confessions chrétiennes et qui alimente tous les phantasmes des extrémismes musulmans. Ceux-ci promettent d’ailleurs la « peine de mort » à tout chrétien qui voudrait convertir un musulman. Des milices spéciales, toutes vêtues de noir, ont également été constituées pour intimider les communautés chrétiennes tentées par le prosélytisme. « Elles vont préserver la foi islamique et prêcher la voie correcte au peuple », a expliqué un des leaders du Forum Musulman Indonésien, Bernard Abdul Jabbar. Quelques semaines en arrière, une école catholique a été attaquée à cause des propos « blasphématoires » d’un blogueur.

Le président, comme souvent serait-on tenté de dire, brille par son absence dans le débat. Mais c’est en principe au ministère de l’Intérieur d’intervenir. Peine perdue. Le ministre de l’Intérieur, Gamawan Fauzi, fut lui-même à l’origine de plusieurs de ces ordonnances quand il était gouverneur de Sumatra-Ouest. Un ministre de la République agit donc au mépris des principes de pluralisme de la nation et des lois internationales sur les Droits de l’Homme que l’Indonésie a pourtant ratifiées. Comme le rappelle l’analyste politique Arbi Sanit, les politiciens sont plus préoccupés aujourd’hui de faire plaisir aux partis musulmans du parlement dont ils dépendent plutôt que de faire respecter le droit constitutionnel. « Des ordonnances ne peuvent pas, par exemple, rendre obligatoire de croire en Dieu ou spécifier quels vêtements un individu doit porter, s’emporte de son côté Ifdhal Kasim, président de la Commission nationale des Droits de l’Homme. Le rôle de l’Etat est de subvenir aux besoins de son peuple.» L’immense majorité des musulmans indonésiens est du même avis. Car la tolérance religieuse est encore une notion très largement partagée en Indonésie. Jamais, depuis qu’ils votent librement, les Indonésiens n’ont souhaité que les partis religieux, et en premier lieu musulmans, n’exercent le pouvoir ou ne soient majoritaires. Cela a même récemment poussé le principal d’entre eux, le parti de la Justice et de la Prospérité (PKS), a affirmer vouloir s’ouvrir davantage. Une manœuvre rhétorique qui semble néanmoins purement électorale.

Mais cette majorité musulmane pacifique, cette société civile indonésienne ouverte et tolérante est malheureusement bien muette quand il s’agit de questions liées à la religion. D’ailleurs, si la presse internationale s’émeut régulièrement de ses problèmes inter-religieux de plus en plus inquiétants, ils ne trouvent quasiment aucun écho dans les presses écrites et audiovisuelles locales. Afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu ? Pour cette majorité musulmane silencieuse, s’élever directement et frontalement contre des frères musulmans, aussi extrémistes soient-ils, reviendrait à bafouer l’islam, et donc à perdre la face. Impossible à imaginer en Indonésie. Si l’Etat n’intervient pas pour faire régner le droit sur son territoire, les minorités religieuses devront tôt ou tard faire valoir les leurs avec leurs propres moyens. Ou quitter le territoire. Les extrémistes auraient alors gagné. Pas l’Indonésie.

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