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Tolérance indonésienne: grand écart entre image et réalité

Une organisation interreligieuse américaine remet ce prix annuel à « des chefs d’Etat ayant montré l’exemple dans leur engagement en faveur de la liberté, des Droits de l’Homme, de la paix et du respect pour la diversité religieuse et ethnique, et s’efforçant de promouvoir ces valeurs démocratiques essentielles sur la scène internationale. » En 2011, l’Institut Setara, une ONG indonésienne promouvant la tolérance et le pluralisme, a recensé 244 attaques violentes à caractère religieux sur le territoire indonésien. Ce chiffre a progressé depuis et est passé à 264 en 2012. Certaines d’entre elles, à l’encontre des minorités chrétienne, Ahmadiyah ou chiite, ont eu une énorme résonance médiatique.

C’est ce grand écart entre l’énoncé prestigieux d’un prix international et la réalité vécue sur le terrain par les minorités religieuses indonésiennes qui a attisé la rancœur d’une partie de l’opinion dans l’Archipel. Où les deux mandats de la présidence Yudhoyono sont davantage perçus comme ayant creusé le fossé de l’intolérance dans un pays pourtant longtemps considéré à raison comme un exemple d’ouverture.

L’administration actuelle peut au mieux être accusée d’inaction, plus vraisemblablement de complicité quand elle édicte des lois discriminatrices incluant l’obtention de permis pour les lieux de culte ou le très controversé décret de 2008 interdisant à la minorité musulmane Ahmadiyah de propager ses croyances, ou qu’elle reste inactive face aux innombrables fermetures de lieux de cultes chrétiens, parfois au mépris même des décisions de la plus haute instance judiciaire nationale.

Au ministère indonésien des Affaires religieuses, on préfère présenter l’Indonésie comme un modèle de tolérance religieuse en expliquant que c’est le processus démocratique dans lequel le pays est embarqué depuis maintenant 15 ans qui autorise les avis divergents à s’exprimer de manière ouverte. Le président Yudhoyono, ayant lui compris que cette polémique pourrait affecter son image, a préféré souligner que ce prix récompensait en réalité l’ensemble des Indonésiens bien plus que sa seule personne.

Il n’en est pas moins que dans l’index d’hostilités sociales 2012 édité par le centre de recherche américain Pew et qui observe la liberté religieuse dans 197 pays, l’Indonésie est classée dans les 15 dernières nations aux côtés de l’Afghanistan ou du Sri Lanka. Dans ce rapport, l’archipel est considéré comme un pays avec « de très fortes restrictions gouvernementales concernant les religions. » L’incapacité de l’Indonésie à reconnaitre et punir ses manquements et atteintes passés aux Droits de l’Homme malgré les promesses en ce sens du président ajoutent encore à l’amertume des Indonésiens de voir leur leader ainsi récompensé.

C’est dans ce contexte que le président Yudhoyono a reçu son prix à New York. Pour ajouter à la polémique, des organisations telles que le Réseau d’Action pour le Timor Leste et l’Indonésie (ETAN) ont accusé le ministère Indonésien des Affaires étrangères d’avoir travaillé pour que SBY reçoive le prix en question afin de renforcer son image d’homme d’Etat et de leader du monde humanitaire. Abdul Muchtar, un Indonésien résidant à New York a quant à lui utilisé son compte Facebook pour expliquer comment il avait été approché, comme plusieurs de ses amis vivant aux alentours de New York, pour assister à la remise du prix en échange de cent dollars et du remboursement de leurs frais de transports. C’est aussi sur les réseaux sociaux, qu’il a très récemment commencé à utiliser, que le président SBY a incité les Indonésiens à plus de tolérance religieuse suite à la remise de sa récompense.

Fort de son nouveau statut de champion mondial de la tolérance, le président indonésien est rentré début juin à Jakarta. La polémique médiatique est depuis retombée. Les faits eux seront certainement plus difficiles à dissiper : le 11 juin à Surabaya, un groupe de musulmans extrémistes a violemment interrompu une rencontre-discussion interreligieuse à laquelle assistaient plusieurs centaines de personnes. La police, qui assurait en principe la sécurité de l’événement, n’a pas cru bon d’intervenir et a même apporté son soutien au petit groupe de perturbateurs. Quelques jours plus tard, on apprenait dans l’indifférence quasi générale que la dernière synagogue de Java, toujours à Surabaya, avait été détruite il y a peu. Celle-ci était pourtant un bâtiment classé et dès lors aurait du être protégée. Il ne reste désormais plus qu’une synagogue en Indonésie, à Manado.

Ironie de l’histoire, ces événements sont intervenus alors que la ville de Surabaya accueillait un groupe d’étudiants de deux universités américaines venus en Indonésie sur le thème « pluralisme et démocratie ». Une conjonction d’événements qui a fait dire à Hendardi, directeur exécutif de l’Institut Setara : « J’ai peur qu’il n’y ait malheureusement pas de bon moment pour venir étudier le pluralisme en Indonésie. Les mauvais exemples d’actes d’intolérance sont des événements quasi quotidiens dans le pays ».

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