Accueil Billets Le billet de Romain

Qu’on me donne l’ennui

Dans le même laps de temps qu’aura pris mon trajet de quelques centaines de kilomètres en bus vers l’Est de Java, d’autres auraient pu aller de Denpasar à Paris en avion. Mais pourquoi prendre le bus me direz-vous ? C’est pas un peu rébarbatif ? Déjà que des vacances à Java ça ne semble pas forcément très excitant alors si en plus il faut des heures pour y aller… Et puis à part grimper des volcans et faire des selfies à Borobodur, concrètement il y a quoi d’autres à faire là-bas ?Effectivement, absolument rien, serait-on tenté de dire. Et c’est bien pour ça que de s’y rendre par la route constitue une bonne entrée en matière. C’est un peu comme de se mouiller la nuque avant d’aller se baigner ou de freiner avant un virage. Le périple vers des vacances à Java commence, en général, assis confortablement dans un fauteuil inclinable au fond d’un bus, les yeux rivés sur son téléphone portable. Après quelques kilomètres, les barres du signal 4G commencent déjà à disparaître de l’écran. Alors, bon gré mal gré, on commence à regarder l’Indonésie défiler par la fenêtre à 40 km/h en moyenne. Un spectacle hypnotique devant lequel la frustration va doucement laisser place à l’ennui. On aurait bien envie de s’autoriser une petite régression et de demander toutes les 5 minutes au chauffeur si c’est encore loin mais on ne connaît que trop bien la réponse. Si bien qu’en adulte raisonnable, on souffle, on souffre, on prend sur soi pour finalement atteindre un état de conscience supérieure. Un état où l’esprit vagabonde et où les yeux dans le vague, on réalise subitement que cette impression persistante avant le départ était juste. On a bien oublié un truc ! Et pas qu’un peu, le chargeur de l’ordinateur. Adieu les 8 saisons de Game of Thrones à binger les unes après les autres, de même que tous ces films sur le disque dur qu’on avait consciencieusement pris soin de ne pas regarder en prévision de ces vacances. Il faut s’y résigner, pour tromper l’ennui, il va falloir trouver autre chose. Mais en définitive il faudrait surtout saisir l’occasion pour retrouver son œil de voyageur et ainsi se donner les moyens d’apprécier, à sa juste valeur, la douceur de vivre javanaise. Car si “ne pas avoir le temps de s’ennuyer” sonne pour bon nombre d’entre nous, comme une bénédiction, à Java on accepte très bien la perspective de ne rien avoir à faire. Ça permet de prendre le temps. Le temps de s’asseoir discuter sur un banc, celui de faire la sieste, celui de rouler doucement dans des engins hors d’âge, celui de jouer encore aux échecs… Et si des images d’embouteillages monstrueux et d’enfer urbain viennent à l’esprit quand on pense aux villes les plus emblématiques telles que Jakarta ou Surabaya, le rythme de vie dans le reste de l’île y est souvent aussi intense qu’un joli dimanche de mois d’août en Corrèze. Est-ce qu’on s’ennuie en Corrèze ? Pas forcément, mais s’y rendre par la route constitue une bonne entrée en matière.

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here