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1 cigarette matin, midi et soir

Le billet de Romain Forsans

La 1 ère fois que je suis monté dans un bus en Indonésie, je me suis dit que dans ce pays, les recommandations médicales ça devait être comme les promesses. Elles n’engagent que ceux qui y croient. Et à voir la façon dont certains pouvaient enchaîner kretek sur kretek comme si demain n’existait pas ainsi que le stoïcisme du reste des passagers qui, les yeux dans le vague au milieu d’un épais brouillard, n’y trouvaient rien à redire, j’ai vite compris que dans ce bus régnaient des principes de santé qui m’étaient jusque-là inconnus. Un nouveau monde s’ouvrait à moi et je découvrais entre autres que le tabagisme n’avait jamais provoqué de cancer à personne. Preuve en est, tous connaissaient des amis ou de la famille qui ont fumé toute leur vie, sans aucun problème, et ce jusqu’à leur mort vers l’âge de 50 ans. Car dans ce nouveau monde, toutes ces maladies compliquées ou venues d’ailleurs, ça ne les concerne pas vraiment. La plupart aspirent à être des gens simples, avec des vies simples et des problèmes simples. Ils vivent dans une sorte de nihilisme médical dans lequel on ne cherche pas midi à 14h. Le corps humain en Indonésie est ainsi fait que pour une écrasante majorité de symptômes allant du nez qui coule à l’hémiplégie aphasique, toute personne raisonnable diagnostiquera un cas de masuk angin. Vous pensiez avoir un fait un accident vasculaire cérébral ? Que nenni. Rassurez-vous, quelqu’un va bientôt venir vous scarifier le dos à l’aide d’une pièce de monnaie, et après un bon verre de jamu au gingembre, vous devriez retrouver l’usage de votre bras droit. Dans le cas très improbable où cela ne suffirait pas, c’est que de surcroît vous souffrez d’un problème mécanique tel qu’une entorse, un claquage, une rupture des ligaments ou une fracture. Peu importe quoi, de toute façon le remède est le même dans tous les cas de figure. Il faut alors faire appel à un tukang pijat. C’est une personne dont le métier se situe entre le massage et la maçonnerie et qui va venir appuyer comme un sourd sur les zones affectées après les avoir enduites de balsem, une huile à base de camphre, de citronnelle, de menthol, d’eucalyptus… bref, un truc qui chauffe très fort. Toujours rien ? Pas d’amélioration ? Alors c’est effectivement sans doute plus grave que prévu. Tout porte à croire que vous êtes la cible d’un santet, un sort de magie noire. Là c’est sérieux, il va falloir faire appel à un professionnel de santé. Il va falloir aller chez le dukun ! Inutile de vous énerver, c’est soit ça, soit l’hôpital. Mais sachez qu’il y en a un qui reçoit vêtu d’un accoutrement ridicule dans une pièce exigüe et déblatère un charabia imbitable dans le but de vendre ses concoctions inutiles, alors que l’autre c’est un véritable dukun. Maintenant c’est vrai que si vous avez le BPJS, de nos jours ça peut revenir moins cher d’aller voir un docteur. Mais bon, la médecine alternative… Et y a pas que l’argent dans la vie. Comme on dit ici, bonne kretek et santé sont les meilleures richesses d’un homme.

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