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MUSEE SETIADARMA : NOUS FAISONS VIVRE NOTRE PATRIMOINE

A quelques encablures d’Ubud, dans le village de Kemenuh, se trouve un endroit empreint d’une beauté et d’une sérénité rares. La Maison Setiadarma des Masques et Marionnettes, un musée de topeng et wayangs étalé sur un vaste terrain réparti en deux plateaux sur lesquels ont été posés d’immenses joglo, les salles d’exposition de ce sanctuaire magique tout dédié à la riche culture de l’Archipel. Certes, on y trouve aussi des masques africains ou vénitiens et même une marionnette à l’effigie d’Obama, mais le thème principal reste l’Indonésie, pays d’origine du propriétaire et initiateur de ce lieu : Hadi Sunyoto. Avec le curateur et directeur, Agustinus Prayitno, également ancien antiquaire, visite guidée de ce musée gratuit et échange de propos sur la philosophie qui a guidé sa création il y a une douzaine d’années…

La Gazette de Bali : Quand a été créé ce musée ?
Agustinus Prayitno : Le projet est né dans la tête de son fondateur en 1998. Hadi Sunyoto est à l’origine un homme d’affaires mais c’est aussi un réel amateur d’art qui a collectionné les masques et les marionnettes de l’Archipel pendant des années Coverstory2avant de penser à ouvrir ce lieu. L’ouverture a eu lieu en 2002. Je suis un des fondateurs également. Cela a toujours été gratuit, les visiteurs ont même le droit de prendre des photos, ce qui est généralement interdit dans les autres musées.

LGdB : En dehors des expositions permanentes, y a-t-il d’autres activités ?
A P : Oui, nous avons des activités avec les écoles, des ateliers lors desquels des étudiants viennent apprendre à fabriquer des masques ou des wayangs. Nous avons eu des étudiants en provenance de Singapour, de Bangkok par exemple. Ils viennent ici pour s’initier. Nous organisons également des festivals, des séminaires sur les sujets qui nous préoccupent et nous avons enfin un amphithéâtre en plein air sur lequel se produisent des artistes qui utilisent des masques, mais nous avons aussi des danses balinaises. En 2013, la cérémonie de clôture du Forum mondial de la Culture (WCF) a eu lieu ici avec une adaptation de « Romeo and Juliet ».

LGdB : Nous voici dans un gigantesque joglo entièrement vide. Qu’y fait-on d’ordinaire ?
A P : Vous avez raison de dire qu’il est imposant. Il fait 40m de long pour 13m de large. Grâce à son acoustique particulière, nous l’utilisons pour les représentations musicales, tout particulièrement de wayang. C’est un ancien entrepôt de tabac qui vient de Blora. C’est un bâtiment très ancien et d’une robustesse sans comparaison.

LGdB : Justement, vous et le propriétaire Hadi Sunyoto êtes tous deux originaires de Java, pourquoi avoir ouvert ce musée à Bali ?
A G : Disons que la situation générale est plus sécurisante ici… Comme vous voyez, les salles sont ouvertes, nombre de pièces ne sont pas enfermées derrière des vitrines. C’est comme ça que nous voyions la chose. Notre ambition est la préservation des cultures d’Indonésie, leur transmission via l’apprentissage et aussi nous voulons que tout se passe dans une atmosphère de détente et de divertissement.

LGdB : Là, nous entrons dans le joglo dédié aux barong, n’est-ce pas ?
A P : Oui, nous en avons en provenance de partout, de Banten jusqu’à Bali. Et même des barongsai de Chine. Après, nous irons dans la salle réservée à Bali, suivez-moi…

LGdB : Oui, effectivement, voici deux Rangda qui nous accueillent avec leur air menaçant…
A P : Ici, nous avons absolument tous les wayangs utilisés à Bali, les tantri, les arja, les Ramayana, les Mahabharata, etc. Il y en a 9 genres différents. Il est intéressant de noter que le joglo dans lequel nous sommes est peint en blanc avec des ornements islamisants. C’est pour rappeler la diversité culturelle et religieuse de l’Indonésie. Nous classons, nous présentons, mais nous mélangeons aussi. Ce bâtiment vient de Demak.

LGdB : Là, nous sommes à présent dans une salle qui expose des masques de tout l’Archipel…
A P : Oui, de Papua, de Kalimantan, de Madura, de Lombok, de Coverstory3Jogja, de Malang, de Cirebon… De partout en fait. La culture régionale est très présente pour nous Indonésiens, depuis que nous sommes petits, même si, malheureusement, aujourd’hui, les choses changent vite…

LGdB : C’est-à-dire ?
A P : Eh bien, nous, les anciennes générations, nous avons été éduquées par les masques et les wayangs. Ces objets nous ont raconté des histoires, ils sont narratifs, ils nous ont décrit les relations entre les hommes, la nature et dieu. Ils expriment aussi nos traits culturels, le fameux « sopan santun », notre politesse, notre humilité. Ces objets possèdent donc une haute philosophie. Alors qu’aujourd’hui, c’est la télévision qui a pris le relais…

LGdB : Oui mais, ces masques, ces marionnettes, sont morts ainsi exposés…
A P : Oui, mais dès que nous les retirons des présentoirs, ils se mettent à vivre. Ceux qui sourient, sourient encore plus, ceux qui sont en colère, sont encore plus en colère ! Ils sont comme des esprits qui possèdent une âme !

LGdB : Pour qu’ils revivent, il faut que des gens les connaissent et les manipulent… C’est votre mission ?
A P : Chaque acteur qui porte un masque a la certitude qu’avec la danse qu’il exécute, il effectue un rituel. Qu’il monte en direction d’un état de perfection. Nous ne faisons pas seulement de la conservation, nous les faisons vivre, à travers nos spectacles.

LGdB : Les wayangs que nous voyons maintenant viennent Coverstory4d’où ?
A P : De toute l’Indonésie, regardez, des wayangs beber, wahyu, purwa, gedog… Mais aussi d’autres pays, de Chine, de Malaisie, du Cambodge…

LGdB : Oui, d’ailleurs, combien avez-vous de pièces dans ce musée ?
A P : 1300 masques, 5700 marionnettes. Nous en avons une bonne partie dans un entrepôt adjacent. Il nous faudrait nous agrandir maintenant… Mais suivez-moi dans le bâtiment des marionnettes golek et gantung…

LGdB : Il y en a du monde entier !
A P : D’Afrique, du Sri Lanka, du Laos, du Vietnam, de Chine, du Japon, du Myanmar, du Tibet, de Sicile. Regardez, même des marionnettes d’eau du Vietnam. Dans ce pays, les dalang sont parfois jusqu’à 7 dans un bassin avec leurs marionnettes flottantes !

LGdB : L’entrée est gratuite, pourtant il n’y a pas foule. Vous ne faîtes pas de promotion, de publicité ?
A P : Non, nous ne comptons que sur le bouche-à-oreille. Nous sommes satisfaits lorsque nous avons eu au moins 5 nationalités différentes parmi nos visiteurs dans une journée. Et c’est généralement le cas. Les gens préfèrent également déambuler tranquillement sans être bousculés, non ?

LGdB : Incontestablement ! Mais pourquoi en rendre l’accès totalement gratuit ? C’est assez unique à Bali !
A P : Parce que tout un chacun a le droit, qu’il ait de l’argent ou pas, d’apprendre ce qui s’est passé auparavant. Vous avez vu, nous n’interdisons pas les photos, juste de toucher. Les gens ont le droit également de copier nos objets. Ils ont le droit de faire beaucoup de choses sauf d’acheter !

Setiadarma House of Masks and Puppets, Kubu Bingin, Jl. Tegal Bingin,
Br. Tengkulak Tengah, Kemenuh, Sukawati, Gianyar. Tél. (0361) 898 74 93,
courriel : [email protected], site : www.topengwayang.com

 

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