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Magie, adultère, le grand bond en arrière du code pénal

Il est vrai qu’il ne s’agit encore que d’une proposition de réforme du code pénal et que le texte va être débattu par les députés avant d’être voté dans sa forme définitive. Datant de l’époque coloniale (1918) et n’ayant été révisé qu’une fois (1958), le code pénal aurait besoin d’être modernisé. Au programme des débats parlementaires : instaurer le délit de sorcellerie, alourdir les peines pour le crime d’adultère (de 9 mois à 5 ans), criminaliser le concubinage, mais aussi l’homosexualité qu’on ferait entrer dans l’une ou l’autre des deux dernières catégories, sans pour autant autoriser une quelconque forme d’union bien évidemment. Ces idées a priori choquantes pour un pays qui s’affirme démocratique, ont bien sûr fait le tour du monde vu leur degré d’ineptie et de nombreux éditorialistes occidentaux se sont gaussés du gouvernement indonésien qui, en fait de modernisation, serait plutôt en train de proposer « un retour au Moyen-âge. »
Notons au passage que la province autonome d’Aceh, qui est gouvernée par la charia, vient juste de supprimer la peine de mort par lapidation pour les couples adultères, nous faisant prendre conscience non sans ironie qu’au moment où cette dernière s’assouplit, le reste du pays se durcit. Mais avant que l’Indonésie ne se mette à brûler sorcières et couples adultères, tentons d’y voir plus clair dans cette réforme décevante, certes, mais qui n’a rien à faire avec notre Moyen-âge, n’en déplaise aux chroniqueurs occidentaux toujours prêts à faire un bon mot sur le dos de l’Indonésie. Non, ce qui est en jeu ici, c’est cette guerre de valeurs et d’influence sur la société que se livrent depuis toujours les tenants d’une rigueur toute musulmane (santri) avec les défenseurs de l’identité javanaise (abangan) qui, dans ce cas précis, engloberaient aussi toutes les identités et coutumes spécifiques du pays.
Plus simplement, il y a d’un côté ceux qui souhaitent que le pays soit régi par les valeurs de l’islam et de l’autre, ceux (majoritairement musulmans aussi) qui ne veulent pas voir leur identité ethnique (suku) soluble dans l’islam. La magie et les croyances surnaturelles étant bien sûr une constante de tous les peuples de l’Indonésie, cette notion s’applique donc au sens large et pas seulement aux abangan de Java. D’ailleurs, si les débats se sont enflammés autour de ce projet de réforme du code pénal, c’est avant tout et fondamentalement sur la notion de sorcellerie que les deux camps se sont opposés. En témoigne, par exemple, ce débat organisé sur la chaîne Métro TV, le 18 mars dernier, où les réformateurs du code pénal issus des partis musulmans de la coalition au pouvoir défendaient, à grand renfort de terminologies en arabe et de justifications prises dans les sourates du coran, le bien fondé de leurs propositions.
En face, vêtus de chemises en batik, les adversaires de la criminalisation des pratiques de sorcellerie posaient cette question bien cartésienne : « Comment la police va-t-elle déterminer les preuves matérielles d’un acte de magie qui ne l’est pas par définition ? » CQFD… Il est vrai qu’on dit ici ilmu santet, « science » de la magie noire, comme on dit ilmu biologi ou ilmu nuklir. Le rationalisme occidental invité par les défenseurs des croyances surnaturelles face aux « progressistes » musulmans ! On le comprend, les sarcasmes de la presse occidentale ratent leur cible… Eh oui, ce n’est pas un retour au Moyen-âge dont il s’agit ici mais de la modernisation par l’islam d’une société traditionnelle qui s’adonne à des pratiques interdites par le coran. Tout n’est qu’affaire d’interprétation des valeurs et aussi de chronologie historique, l’islam, arrivé certes en Indonésie à l’époque du Moyen-âge européen, propose néanmoins des schémas de pensée plus modernes que les cultures ancestrales du pays. Ce débat qui agite l’Archipel n’est pas nouveau mais à l’époque de la reformasi, les Anciens (abangan) semblent définitivement plus dans leur temps que les Modernes (santri), du moins d’un point de vue occidental. Cette réforme « islamisante » du code pénal constitue donc bien un grand bond en arrière en termes démocratiques mais certainement pas un retour au Moyen-âge.

Droits de l’Homme : le grand bond en arrière d’Arief Hidayat

En écho à notre article du mois dernier sur l’incompatibilité de certains principes de la constitution indonésienne avec les Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis par les Nations Unis, revenons sur les propos émis par le nouveau président de la cour constitutionnelle Arief Hidayat, lors du processus de sélection auquel il vient d’être soumis. « L’Indonésie est une nation religieuse, donc, la liberté religieuse dans ce pays doit maintenir des principes théistes. Le débat au sujet de la liberté religieuse ici, par conséquent, ne porte pas sur la possibilité des Indonésiens d’être athées. Tous les Indonésiens doivent être croyants », a-t-il dit selon des propos rapportés par le Jakarta Post.
Arief Hidayat, qui a obtenu 42 voix favorables sur les 48 possibles, autrement dit un véritable raz-de-marée en sa faveur, succède à Mafhud MD, une personnalité de la vie publique indonésienne hautement respectée, qui s’était fait remarquer par ses prises de positions en faveur d’une plus grande tolérance envers l’athéisme et le communisme, tout en reconnaissant que ces idées étaient contraires à la Pancasila. Interrogé sur son successeur, Mahfud MD a dit sur le site d’HukumOnLine : « L’athéisme est vraiment antinomique avec la constitution de 1945 et j’affirme moi aussi qu’il s’agit d’une infraction à ces principes. Mais les athées ne peuvent être condamnés parce qu’ils ne contreviennent à aucune loi spécifique. » [ndlr. sauf en cas de blasphème, cette notion étant laissée à l’appréciation des juges, comme dans le cas d’Alexander Aan, emprisonné après avoir écrit sur sa page FaceBook qu’il ne croyait pas en dieu]
Interrogé, lors du processus de sélection, sur les Droits de l’Homme et les valeurs universelles qu’ils portent, Arief Hidayat avait également affirmé : « L’Indonésie doit seulement appliquer des Droits de l’Homme qui sont compatibles avec le contexte local plutôt que d’appliquer de façon inconditionnelle ces soi-disantes valeurs universelles. » A l’écoute de ces propos, difficile de croire que l’Indonésie est engagée depuis quinze ans maintenant sur la voie démocratique et qu’elle a été saluée de multiples louanges internationales pour ses progrès. L’intolérance et les horreurs perpétrées contre les minorités ces dernières années sont-elles les exceptions de ce « contexte local » évoqué par Arief Hidayat ? Et dispense-t-il in fine l’Indonésie d’adhérer à des valeurs universelles ? Les convictions du nouveau président de la cour constitutionnelle, exprimées en forme de diktats que ne renierait aucun régime totalitaire de la planète, de l’Iran à la Corée du Nord, représentent certainement un autre grand bond en arrière pour la démocratie indonésienne.

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