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Loi anti-porno : Un test pour la démocratie

« Je ne soutiens pas la
pornographie, mais je ne
suis pas d’accord avec cette
loi », déclare à titre privé
Laurentius, un membre
de l’Alliance pour l’Unité
dans la diversité, proche de
la mouvance musulmane
libérale. « Je ne crois pas que
cette loi va régler le problème de
manière adéquate et globale »,
ajoute-t-il. Il craint que la
loi n’offre l’opportunité à
des individus ou à des groupes précis de
« juger d’autres groupes », voir de se livrer
à des « actions anarchiques », de type
razzia. « Combien d’entre eux sont capables
d’observer et de réfléchir au problème de
manière claire, neutre et en gardant la
tête froide ? Leurs cerveaux, ce sont leurs
dirigeants. Il suffit d’un individu qui attise le
feu pour ses propres priorités politiques »,
explique-t-il sévèrement.

Pour nombre d’autres, comme Rahmadi,
étudiant en Sciences sociales, cette loi
est nécessaire, précisément parce que
« si l’État ne remplit pas son rôle, alors
certains groupes en profiteront pour agir
de leur propre initiative ». Pour lui, dans
un pays en développement, l’application
du droit fait partie d’un processus
d’apprentissage de ce que sont réforme
et démocratie, sans lequel la nation
s’autodétruit. Quelles que soient les
imperfections momentanées d’une loi
donnée, ce qui compte, c’est d’y travailler,
en « évitant les réactions émotionnelles et
exagérées, et en se conduisant de manière
adulte », commente-t-il.

Beaucoup de bruit pour rien, disent
les ministres

Meutia Hatta, fille de l’un des pères de
la patrie et ministre de la Condition
féminine, estime aussi que la nouvelle loi
est une bonne chose, et pas seulement
par solidarité gouvernementale. Avant et
après le vote du 29 octobre dernier, elle
a affirmé que les activistes de tous bords devraient « revoir leurs a priori ». Cette
loi ne comporte plus « aucun élément de
discrimination », ni religieux, ni relatif à
la vie privée, ni aux activités artistiques,
a-t-elle déclaré au Congrès du Réseau
Kartini pour l’Asie, qui s’est tenu à Sanur
le 2 novembre. Mais la protection de
l’enfance justifie un renfort juridique aux
lois existantes, en raison de l’invasion
télévisuelle, vidéo ou Internet de scènes
propres à susciter des violences diverses,
en particulier sexuelles qui, assure la
ministre, ne cessent d’augmenter. En
outre, la loi a déjà subi quatre enquêtes
publiques.

Le ministre de la Culture et du Tourisme,
Jero Wacik, parle « d’inquiétudes exagérées »
et jure dans Republika (15/11/08) que la loi
n’aura « pas d’influence significative sur le
tourisme à Bali », tandis que Meutia affirme
que « l’Occident ne s’inquiète pas et peut
comprendre que nous avons des principes ».
Quant au vice-président Jusuf Kalla, tout en
invitant ceux qui le souhaitent à demander
une révision constitutionnelle, il fait
valoir avec optimisme que les « quelques
imprécisions » qui subsistent seront réglées
par les décrets d’application (Koran Jakarta,
01/11/08). Alors, un malentendu qui ne
demande qu’un peu d’explication de
texte ? Même Sandra Angelia, la nouvelle
Miss Indonésie, a déclaré au Samarinda Pos qu’elle ne se faisait aucun souci pour son
prochain défilé en bikini. (16/11/09).

Des députés un peu trop pressésC’est vrai, comparativement à la version
de 2003, la nouvelle loi a sérieusement
fondu, passant de 93 articles à 44. Le
comité législatif, dirigé par Balkan Kaplale,
du parti Démocrate, estime avoir fait
beaucoup d’efforts. Le passage sur le
délit « d’excitation des pulsions sexuelles »
a disparu, des « exceptions » sont prévues
en ce qui concerne les traditions, la
culture, l’art et les pratiques religieuses. En
revanche, la loi renforce effectivement les peines concernant les délits impliquant des
enfants, aggravant d’un tiers celles qui sont
prévues par les lois existantes, et multiplie
par trois les amendes infligées aux délits
commis par des entreprises commerciales.
« La cible de cette loi, c’est le business du sexe
qui s’infiltre jusque dans les villages », accuse
Rahmadi. La Commission de protection de
l’Enfance signale régulièrement des cas de
prostitution et de trafic d’enfants.

Toutefois, telle qu’elle est, la loi a quand
même suffisamment contrarié Eva
Kusumah Sundari et les députés du
Parti Démocratique Indonésien de Lutte
(PDI-P), qui sont sortis de la réunion
plénière, avec les membres du PDS (Parti
de la Paix et de la Prospérité), et de deux représentants balinais
du Golkar. La définition
de la pornographie est
encore jugée « ambiguë »
et sujette à interprétations
multiples, selon l’humeur du
procureur. Les homosexuels
sont toujours stigmatisés.
Et surtout, la loi ouvre la
possibilité aux citoyens de
« participer » à la lutte.
Quoi que puisse en dire le
chef de la Police, et quelles
que soient les disposition des décrets
d’application qui sortiront (ou pas ?), ces
articles (20 à 22) inquiètent tous ceux qui
ont déjà eu affaire à des miliciens soi-disant
« défenseurs de la morale ».

La question que tout le monde se pose,
mais à laquelle il reste à répondre, est celle
de la précipitation des députés : en votant
une loi encore boiteuse (cacat), voulaientils
épuiser leur quota coûte que coûte,
empochant les indemnités qui vont avec ?
Est-ce une manoeuvre électorale pour
se concilier les sympathies musulmanes,
qui pourraient fort bien se retourner
contre eux, si l’on en juge les prises de
positions de leaders religieux comme
Said Agil Siradj (Nahdlatul Ulama), ou
d’artistes respectés comme la chanteuse
Trie Utami. Pour Laurentius, il n’y a pas de
doute : « politiquement et idéologiquement,
cette loi est une porte d’entrée stratégique »
pour certains partis musulmans, au
premier rang desquels le Parti pour la
Justice et la Prospérité (PKS), dans une
compétition électorale déjà bien lancée.
Le président de la République a trente
jours pour signer la loi ; s’il ne le fait pas,
elle sera automatiquement appliquée,
c’est la prééminence du pouvoir législatif.
Diverses organisations préparent un
dossier de demande de révision par la
Cour constitutionnelle. La démocratie
est au travail.

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