Plus grande économie d’Asie du sud-est bénéficiant d’une population active parmi les plus larges au monde, l’Indonésie peine pourtant à attirer les investissements étrangers. Alors que les entreprises tendent à se retirer de Chine pour éviter les tarifs douaniers américains, elles semblent ignorer l’archipel au profit de voisins tels que le Vietnam et la Thaïlande. Explications.
Sur les 33 entreprises chinoises ayant annoncé leurs intentions de créer ou de développer leurs activités à l’étranger entre juin et août derniers, pas une n’a prévu de le faire en Indonésie, d’après une présentation faite au président Jokowi par la Banque Mondiale en septembre dernier. 23 ont choisi le Vietnam, le reste se répartissant entre la Thaïlande, le Cambodge, la Malaisie, l’Inde, le Mexique et la Serbie. La raison est simple. Ses voisins sont plus économiquement accueillants que l’Indonésie. Jokowi s’est lui-même plaint que les entreprises n’aient besoin que de deux mois pour assurer toutes les approbations pour s’installer au Vietnam, alors que les mêmes démarches peuvent prendre des années en Indonésie. En conséquence, les investissements directs étrangers vers l’Indonésie sont faibles et stagnants en pourcentage du PIB, en comparaison de ses voisins. Le textile, poste d’exportation principal du pays après les énergies fossiles et l’huile de palme, a vu ses exportations augmenter de 5% à 13,2 milliards de dollars en 2018.
Dans le même temps, le Vietnam annonçait des exportations textiles de 30,5 milliards de dollars en 2018, un chiffre en hausse de 17%. Parmi les éléments qui empêchent l’Indonésie de devenir plus compétitive pour les investissements étrangers, on recense son code du travail rigide, dont les lois font dire aux entrepreneurs qu’il y est contraignant de recruter et de mettre fin à un contrat de travail. Les indemnités de licenciement y sont parmi les plus généreuses au monde (environ 95 semaines de salaire pour une ancienneté de 10 ans). C’est environ 43 semaines au Vietnam, 50 en Thaïlande.
Le paysage législatif peut aussi ressembler à un champ de mines. Par exemple, certaines importations dont le secteur manufacturier a besoin nécessitent une lettre du ministère de l’industrie. Celle-ci est supposée être émise en cinq jours maximum, mais requiert généralement de trois à six mois, voire davantage. Le nationalisme économique, illustré par la liste négative d’investissement du gouvernement, restreint aussi la propriété étrangère dans des domaines qui vont de la brasserie aux activités minières, ou des télécommunications à l’éducation. Le taux de l’impôt indonésien sur les sociétés, à 25%, est également plus élevé que celui des rivaux régionaux comme le Vietnam ou la Thaïlande, bien que le gouvernement ait planifié sa réduction graduelle à 20% à partir de 2021.
Le secteur manufacturier indonésien est aussi coupé des chaînes d’approvisionnement mondiales, d’après la Banque Mondiale. L’importation de composants est sujette à des inspections et tarifs (15% pour les pneus, 10% pour les allumeurs, les moteurs à gaz ou les boîtes de vitesse par exemple) qui rendent les exportations qui en découlent non compétitives. L’Indonésie était il y a quelques temps considérée comme l’un des “nouveaux tigres asiatiques” alors que son industrialisation alimentait une forte croissance économique. Il y a vingt ans ses exportations équivalaient à 53% de son PIB, davantage que le Vietnam à 45% et le
Cambodge à 31%. Mais après la crise financière asiatique, elle a été dépassée par ses voisins, et ses exportations ne comptent plus que pour 21% du PIB en 2018. En 2001 le secteur manufacturier contribuait pour 29% du PIB. Cela s’est désormais réduit à moins de 20%.
Pendant son premier mandat, Jokowi a sorti de terre des routes, ports et aéroports pour mieux connecter les îles de l’archipel. Il a aussi mis l’accent
sur la stabilité de l’économie, une inflation maîtrisée et l’amélioration des finances gouvernementales. Le pays en a tiré des bénéfices. L’Indonésie est désormais classée 46e à l’indice de performance logistique 2018 de la Banque Mondiale (63e en2016). Le pays a aussi progressé à l’indice de la facilité à faire des affaires de la Banque. Mais son classement à la 73e place en 2019 montre qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire.
Afin d’attirer à nouveau les investissements étrangers, Jokowi a demandé à ses ministres de retirer les menottes qui lient l’économie. Il a promis d’alléger la liste négative d’investissement. Pour satisfaire à la fois les entreprises et les syndicats, il a promis que les changements du code du travail n’affecteraient que les nouvelles embauches. Le gouvernement a aussi proposé une loi omnibus pour se débarrasser de centaines de lois et permis. Guerre commerciale sino-américaine ou non, toutes ces réformes sont hautement nécessaires parce que l’Indonésie a fortement besoin de créer des emplois. Trois millions de personnes intègrent chaque année une population active déjà forte de 197 millions d’individus. L’économie doit donc croître et être créatrice d’emplois à forte vitesse, sous peine de voir le problème du chômage devenir majeur, principalement chez les jeunes. L’Indonésie connaît déjà un problème de sous-emploi, avec près de 30% des actifs travaillant moins de 35 heures par semaine, et 56% des travailleurs employés dans le secteur informel.
Le président Jokowi a moins d’un mandat pour mettre ces réformes en action. A plus long terme, les Nations Unies prévoient qu’aux alentours de
2050, pour la première fois en Indonésie, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans, signifiant un déclin de la population en âge de travailler.
Parmi les secteurs créateurs d’emploi que le gouvernement doit aider, le e-commerce fait figure de leader. D’ici 2022, le commerce en ligne pourrait
soutenir directement et indirectement jusqu’à 26millions d’emplois équivalents temps plein, d’après McKinsey. D’ici 2025, les technologies digitales pourraient aussi augmenter le PIB national de 150 milliards de dollars, soit 1,2% par an. De la croissance dont l’Indonésie a unanimement besoin.
-Jean-Baptiste Chauvin