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L’Indonésie a perdu l’un de ses pères en la personne de B.J Habibie

L’ancien éphémère président indonésien Bacharuddin Jusuf Habibie est décédé le 11 septembre dernier à l’âge de 83 ans. Il laisse derrière lui un héritage très fort d’intelligence, d’ouverture et d’amour que l’Histoire a déjà commencé à juger de manière positive. L’Indonésie perd un de ses grands hommes.

Fils d’un agriculteur et d’une javanaise d’origine nobiliaire, Habibie est né dans la province de Sulawesi-Sud en 1936. Il étudie à l’Institut technologique de Bandung (ITB), l’une des plus prestigieuses universités du pays, avant de continuer son éducation en Allemagne de l’Ouest, où il obtient son doctorat en ingénierie aérospatiale. Il continue à y travailler par la suite en tant qu’ingénieur, participant entre autres à l’élaboration de l’Airbus A300.

En 1974, le président Suharto le convainc de rentrer en Indonésie afin d’y devenir le fer de lance de l’industrialisation voulue par l’ancien dictateur. Après avoir été conseiller du président, il en devient en 1978 le ministre de la recherche et de la technologie. Un poste qu’il conservera pendant près de vingt ans. Durant cette période, Habibie dévoile les plans du premier avion développé par l’Indonésie, le N250. En 1990, il crée l’Association indonésienne des intellectuels musulmans (ICMI), une entité dévouée à la promotion de la science, de la technologie et du développement. En 1994, l’organisation comptait 20.000 membres et était devenue une voix influente dans la société indonésienne.

En janvier 1998, avec de gros nuages politiques s’amoncelant au-dessus de sa présidence (en partie à cause de la crise financière asiatique), Suharto surprend le microcosme politique en nommant Habibie à la vice-présidence. Alors que les étudiants prennent la rue et le forcent à la démission en mai 1998, Suharto surprend encore
en autorisant le processus constitutionnel à suivre son cours et laisse les rênes du pouvoir à Habibie plutôt qu’à une figure militaire.

En tant que président, Habibie a lutté pour apparaître légitime au poste. Mais en seulement 17 mois à la tête de l’exécutif, il a tourné la page autoritaire et lancé l’Indonésie vers sa période de Reformasi. Il lance des réformes économiques impopulaires pour stabiliser l’économie du pays, s’excuse pour les atteintes aux droits de l’Homme commises par le passé, libéralise la presse indonésienne et les lois sur les partis politiques, accepte la limitation des mandats présidentiels, libère les prisonniers politiques, renforce les droits des femmes, lève les politiques discriminatoires envers la minorité chinoise, réduit le rôle de l’armée en politique, institue l’autonomie régionale pour contrer les voix indépendantistes dans l’archipel et supervise des élections parlementaires qui apparaissent authentiquement pacifiques, libres et justes en novembre 1999. Les premières en une génération.

De manière tout aussi remarquable, sous la menace d’une guerre civile sous-jacente dans l’est du pays, et malgré l’opposition de la classe dirigeante indonésienne, Habibie autorise courageusement un référendum supervisé par les Nations Unies en 1999 au Timor Oriental, une région occupée par l’Indonésie depuis 1975 et le départ des Portugais. Il s’attendait à ce que les Timorais optent pour l’autonomie mais décident de rester indonésiens. Ils choisirent en fait l’indépendance.

Beaucoup d’Indonésiens n’ont jamais pardonné à Habibie cette entorse à l’unité territoriale du pays. Mais sa signification pour le peuple du Timor Leste (le nom officiel du pays), a été mise en évidence par les images rendues publiques de la visite très émotionnelle de l’ancien chef de la guérilla et premier président du Timor Xanana Gusmao à B.J Habibie en juillet dernier à l’hôpital. Le 30 août dernier, pour le vingtième anniversaire du vote qui lui accorda son indépendance, le Timor Leste a d’ailleurs inauguré un pont au nom de Habibie à Dili, sa capitale.
Mais incapable de se défaire de son image associée au régime de Suharto (il mettra par exemple un terme à une enquête sur les soupçons de détournements massifs de fonds publics par Suharto et sa famille, à l’encontre même de son avenir politique), et face à une forte opposition au parlement, Habibie décide de ne pas se présenter à la présidence en octobre 1999.
De retour dans la vie civile, il porte son attention sur la construction et le développement de son institut de recherche politique, le Centre Habibie, dédié à la modernisation et à la démocratisation de l’Indonésie, et partage son temps entre Jakarta et l’Allemagne.
La femme de BJ Habibie, Hasri Ainun, médecin de formation, est décédée en 2010 après 48 ans de mariage. Dans les années qui suivirent, Habibie a publiquement et de manière très émouvante célébré son amour pour elle à travers une série de livres, films et compositions orchestrales. Tous les vendredis, dans un acte de dévotion et de commémoration, il portait ainsi l’écharpe blanche de Ainun et partait prier sur sa tombe. Cet amour et ce dévouement pour sa femme ont fait résonner une corde très populaire dans le cœur des Indonésiens.

Avec une succession de présidents post Reformasi qui n’ont pas permis à l’Indonésie de faire les progrès que son peuple espérait, le court bilan de Habibie a commencé à paraître de plus en plus impressionnant, et ces dernières années, il n’était plus rare de le voir présenté comme un “père de la Nation”. Il était ainsi régulièrement consulté par les différents leaders politiques du pays. En 2016, il s’était ainsi par exemple courageusement déclaré contre la peine de mort, à un moment où Jokowi avait autorisé la reprise des exécutions dans sa guerre contre la drogue.
Ceux qui l’ont personnellement connu rappellent son amour pour la discussion. Pour les autres, la majorité des Indonésiens, B.J Habibie restera dans les mémoires un authentique démocrate et réformateur, un homme ouvert, intelligent et un mari aimant. L’histoire contemporaine de l’Indonésie est en train de lui dresser une place de choix. Puissent la classe politique actuelle et les générations suivantes s’inspirer de son exemple.

Jean-Baptiste Chauvin

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