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LIBERATION ANNONCEE D’ABU BAKAR BA’ASYIR : L’ERREUR DE JOKOWI

Le président indonésien a annoncé la libération anticipée de prison pour raisons médicales et humanitaires du prédicateur de 81 ans considéré comme le père de l’islamisme indonésien.
Une décision critiquée de tous les côtés. Et qui n’envoie que de mauvais messages.

Jokowi a réussi là où tous les hommes et femmes politiques échouent : faire l’unanimité. Mais contre lui.

Abu Bakar Ba’asyir purge depuis 2011 une peine de quinze ans de prison pour incitation et financement du terrorisme à cause de ses liens supposés avec un camp d’entrainement militaire dans la province d’Aceh. Connu pour sa rhétorique enflammée, il a aussi auparavant été accusé d’être le leader spirituel du réseau terroriste local Jemaah Islamiyah, et l’inspirateur de beaucoup de ceux impliqués dans les attentats de Bali en 2002 et de l’hôtel Marriott à Jakarta en 2003. Il a également prêté allégeance à l’Etat Islamique pendant son emprisonnement.

C’est beaucoup pour un seul homme. C’est pourtant dans ce contexte que le président Jokowi a accordé à Ba’asyir une libération anticipée de prison pour raisons humanitaires, l’homme étant vieux et à la santé chancelante d’après Yusril Ihza Mahendra, conseiller juridique du chef de l’état.

Il est peu de dire que cette décision est controversée. Elle a ainsi provoqué des réactions à l’étranger, et en premier lieu en Australie, qui avec les Etats-Unis ont permis la création, la formation et le financement de l’unité anti-terroriste indonésienne Détachement 88. 88 comme le nombre de ressortissants australiens morts suite à l’attentat de Bali en 2002. Ce qui les rend évidemment très sensibles à ce genre de nouvelles.
Les réactions d’incompréhension et de dépit sont aussi intervenues en Indonésie. Parce que les messages envoyés par cette libération annoncée sont mauvais. Comme expliqué par Sydney Jones, directrice de l’Institut pour l’analyse politique des conflits (IPAC) à Jakarta et spécialiste du terrorisme indonésien, la décision présidentielle donne le message que si quelqu’un défie l’Etat dans la durée, celui-ci capitulera in fine. Cela renforce la vision de ceux qui pensent que la démocratie est incompatible avec l’islam, ce que Ba’asyir a affirmé toute sa vie. Cette décision rend aux djihadistes leur héros, avec un statut encore plus élevé puisqu’il n’a apparemment pas eu à accepter l’idéologie étatique de Pancasila ou de se déclarer loyal à l’Etat indonésien pour l’obtenir.

De plus, cela présente le président comme assez machiavélique afin de tout vouloir envisager pour quelques votes supplémentaires, ou bien complètement politiquement sourd et aveugle en ne mesurant pas les conséquences de cet acte.

Cela suggère qu’il réserve sa compassion pour un extrémiste de haut rang, certes vieux, plutôt que pour d’autres prisonniers très malades, victimes de persécution populaire, ou simplement trop pauvres pour payer les cours corrompues du pays. On pense évidemment à cet exemple, très récent, où invoquant sa volonté de ne pas interférer avec la justice, Jokowi avait ainsi rejeté les appels à la clémence pour une femme ayant exposé l’homme qui la harcelait sexuellement. Ou à tous les accusés de trafic de drogue qui attendent dans le couloir de la mort ou furent exécutés depuis le début de son mandat.

La libération de Ba’asyir ne devrait pas accroitre le risque d’attaques à court terme, ni diminuer les efforts du Détachement 88, dont plusieurs responsables semblent en désaccord avec la décision présidentielle, mais elle lui permettra de reprendre ses prêches sur les vertus du djihad et de soutenir la violence engendrée par d’autres.

Les bases légales même de la décision ne sont pas claires. Il ne s’agit pas d’un pardon, puisque Ba’asyir n’en a jamais fait la demande. Ce n’est pas non plus une amnistie et semble aller à l’encontre d’un décret ministériel de 2012 qui autorise une libération anticipée, même d’un terroriste, si celui-ci s’engage par écrit à la loyauté envers le gouvernement indonésien, ce que n’a pas fait Ba’asyir.

Enfin le timing de la décision est étrange, voire très suspect. Si Jokowi et ses conseillers ne voulaient pas provoquer de spéculation sur les raisons politiques de cette libération, en l’occurrence un appel très clair aux votes des conservateurs musulmans à quatre mois des élections générales, pourquoi agir maintenant ? La santé de Ba’asyir est actuellement la même qu’elle était il y a un an, quand Jokowi avait alors ignoré des appels pour sa libération. Il aurait dès lors pu attendre quelques mois supplémentaires sans problème. Après les élections par exemple. Et l’assigner à résidence avec surveillance policière.

En l’état les islamistes, bien qu’heureux de voir Ba’asyir libre, ne sont pas naïfs et présentent la décision de Jokowi comme une manœuvre politique de bas étage. Cela ne devrait donc pas lui faire gagner de votes de ce côté, et certainement lui en faire perdre quelques-uns chez ceux plus ouverts d’esprit.

Devant ce tollé général, l’équipe gouvernementale tente depuis de sauver la face, et explique désormais que la libération anticipée d’Abu Bakar Ba’asyir est encore en cours d’évaluation. Quoi qu‘il en soit au final, le mal est déjà fait. Jokowi apparait faible, influençable, insensible, et très mal conseillé. Et il semble absolument prêt à tout pour s’octroyer la part du lion du vote conservateur musulman. Ce n’est pas forcément l’image recherchée alors que la campagne présidentielle s’intensifie avec les premiers débats publics. Les sondages ne s’y trompent d’ailleurs pas et l’avance de Jokowi sur Prabowo fond. Elle fut longtemps à deux chiffres. Ce n’est plus le cas. Alors que les deux candidats déçoivent sur le manque de clarté de leurs programmes (ou serait-ce leur manque de programme ?) les Indonésiens en sont réduits à compter les erreurs, manœuvres et manquements de chaque côté. Le changement n’est pas pour maintenant.

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