Imaginez un instant la scène en France. Vous allumez la télé le soir en rentrant du boulot et vous tombez sur la pub. Là, sur votre petit écran, une personnalité dont le visage vous est confusément familier vous vante les mérites d’un médicament contre le ballonnement intestinal. Fourbu par votre dure journée de labeur, vous n’êtes pas certain de la reconnaître mais sur le gros plan final, il n’y a plus de doute, vous identifiez bien la personnalité en question avec son remède miracle contre les gaz digestifs : il s’agit de Christiane Taubira, ministre de la Justice, dans sa dernière pub pour les dragées Machintruc. Une ministre en poste dans une pub ? Sketch comique, sitcom, scénario d’anticipation ? Non, l’Indonésie d’aujourd’hui, tout simplement.
L’utilisation de politiciens par la pub a pris une tournure frénétique ces derniers temps. Ministres, présidents d’institutions de l’Etat, leaders régionaux semblent aujourd’hui rivaliser de cabotinage dans les segments publicitaires et pas toujours avec talent. Si les acteurs font quelquefois de bons politiciens, l’inverse est encore loin d’être une certitude. Prenons Dahlan Iskan par exemple. Ce ministre des Entreprises d’Etat est connu pour être le chéri des médias à cause de ses actions et déclarations spectaculaires. Lorsque la queue à un péage d’autoroute est trop longue, il bondit en colère de sa voiture pour ouvrir les barrières fermées tout en sermonnant les employés somnolents. Lorsqu’il investit sa fortune personnelle dans un projet de voiture de sport électrique, il n’hésite pas à en faire les tests de développement lui-même sur route ouverte et sans autorisation. Et quand il se crashe, heureusement sans blesser personne, parce que sa « Ferrari listrik » (sic) made in Indonesia freine mal, cela crée une polémique sans fin au sujet des libertés qu’il s’octroie. Mais il s’en sort sans poursuites judiciaires ni même sanction gouvernementale.
Prenons le cas inverse. Celui de Deddy Mizwar, un vieil acteur devenu politicien, vice-gouverneur de Java-Ouest et qui est loin d’avoir abandonné son ancien métier. On pourrait même dire que cela a redynamisé sa carrière. Tout au moins dans la pub. Bon musulman à l’allure bonhomme, il vend sans relâche à ses concitoyens depuis plusieurs années d’infâmes saucisses dont nous tairons le nom. Outre que ce spot a une fréquence de diffusion hystérique et une chanson proprement insupportable, Deddy Mizwar apparait également dans les pubs du médicament Promag, celles d’une marque de sarongs qui rendent le croyant « plus sincère dans ses prières » et dans celles d’une banque privée dont il nous garantit la qualité des services. Bref, difficile d’échapper au vice-gouverneur de Java-Ouest quand on allume son poste. Une question vient à l’esprit : dépose-t-il ses cachets d’acteur de pub dans la banque en question ?
Il nous revient maintenant dans un spot publicitaire de la société Maspion qui vante les mérites de son catalogue de produits électroménagers avec le slogan « Aimons les produits indonésiens ». Vieille d’une cinquantaine d’année, cette société vestige de l’ère Suharto et des monopoles répartis entre amis du pouvoir souffre d’un problème d’image dans l’Indonésie moderne. Alim Markus, le patron de la boite, et la chanteuse et comédienne Titiek Puspa apparaissent depuis des lustres dans un spot où les deux, d’un âge honorable, martèlent la devise de leurs voix dissonantes et désynchronisées. Une question moqueuse nous vient à l’esprit : cette pub qui ressemble à une réclame des années 50 faite par un club 3ème âge avait-elle la moindre chance de redynamiser l’image de cette boite plan-plan ? Et est-ce pour cela que la société Maspion fait jouer la fibre nationaliste en appelant le très chauvin président du parlement à la rescousse ?