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L’ALCOOL TUE. EN INDONESIE, SON ABSENCE AUSSI

Ces dernières semaines, plus de 100 personnes sont mortes dans l’archipel après avoir bu de l’alcool de contrebande. Si le phénomène n’est pas nouveau, il est en augmentation et semble être directement lié aux réglementations d’inspiration religieuse introduites ces deux dernières décennies par des gouvernements locaux pour lutter contre la consommation d’alcool.

En dépit de sa ferveur religieuse, l’Indonésie est en train d’apprendre à ses dépens que la limitation ou le bannissement de la vente de boissons alcoolisées peut avoir des conséquences tragiques dans un pays où la culture de la boisson est déjà l’une des plus faibles en Asie.

Ces dernières semaines, plus d’une centaine de personnes sont mortes à Java Ouest, dans le Grand Jakarta et en Papua après avoir consommé de l’oplosan, un terme javanais pour designer l’alcool de contrebande fabriqué en quantités croissantes au moment où les gouvernements central et régionaux augmentent les prix et resserrent les contrôles.

Au-delà de Jakarta et de ses environs directs, la moitié des décès a été répertoriée autour de Bandung, la capitale de Java-Ouest, et un peu plus au sud de la même province dans la région religieusement conservatrice de Sukabumi.

En l’espace de six jours, un petit hôpital de 19 lits à Cicalengka, à l’ouest de Bandung, a ainsi été dépassé par l’arrivée de 93 patients souffrant de problèmes respiratoires, de maux de tête, de nausées et de vision floue, des symptômes courants de l’empoisonnement au méthanol.
En plus de mixer du méthanol et de l’alcool non dilué avec des boissons énergisantes, un cocktail déjà mortel en soi, les contrebandiers utilisent souvent des pilules contre les maux de tête, des liquides de batterie et même des insecticides dans leurs mixtures.

La dernière occurrence sérieuse d’un empoisonnement à l’oplosan avait eu lieu en février 2016 quand 17 personnes, la majorité d’entre elles étudiante, étaient décédées en deux jours autour de Yogyakarta dans le centre de Java.

D’après Rofi Uddarojat, chercheur au Centre d’étude des politiques indonésiennes (CIPS), 487 personnes sont mortes après avoir bu des préparations contenant du méthanol entre 2013 et 2016, un chiffre en forte hausse par rapport à la période 2008-2012.

Une des raisons majeures de l’augmentation de la consommation d’oplosan semble résider dans les 150 réglementations d’inspiration religieuse contrôlant la légalité des boissons alcoolisées introduites par les gouvernements locaux à travers le pays ces deux dernières décennies.
Une recherche montre que 331 des personnes décédées ou tombées malades entre 2013 et 2016 résidaient dans 11 districts où la prohibition était en place, alors que 192 étaient dans 12 districts observant une prohibition partielle et 106 dans sept juridictions sans restriction de ce genre.

Une nouvelle taxe sur l’alcool imposée en 2010 semble avoir aussi joué un rôle. L’oplosan coûte environ 20,000 Rupiah (1,5 US dollar) par litre, soit le même prix qu’une cannette de 33 centilitres de bière qui ne peut désormais être achetée que dans les supermarchés ou les magasins d’alcool répertoriés.

Une part du problème pourrait aussi venir d’une loi de 2015 interdisant la vente de boissons contenant entre 1 et 5% d’alcool dans les quelques 55 000 supérettes du pays, où la jeunesse urbaine a l’habitude de se retrouver.
Dans son étude de 2016 couvrant six villes de Java et Sumatra, Uddarojat conclut que les efforts actuels des partis islamiques d’imposer une prohibition nationale ne feront qu’augmenter l’existence d’un marché noir et dès lors, les morts y étant liés.
Certaines critiques pointent également les torts que cela engendrerait pour l’image de l’Indonésie en tant qu’état tolérant et séculier où les exemples d’ébriété publique parmi la population locale sont quasi inexistants et où le conservatisme islamique continue à rogner les libertés individuelles.

En 2015, le Ministère du Commerce avait exempté Bali de la régulation sur les superettes après les plaintes des vendeurs dont les revenus dépendent des touristes y achetant de la bière. Les amateurs de bière chinois et australiens représentent à eux seuls presque la moitié des 3,4 millions de visiteurs étrangers à Bali l’année dernière. Ceux en provenance du Moyen-Orient, buveurs ou non, atteignaient à peine les 19 000.

Les ventes de bière en Indonésie ont doublé ces dix dernières années avec le nombre croissant de touristes et une classe moyenne bourgeonnante. Mais ces chiffres restent minuscules en comparaison des pays voisins. D’après les derniers chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les Indonésiens consomment 0,6 litre d’alcool par an et par habitant, le plus bas dans la région après le Laos (7,3), la Thaïlande (7,1), le Vietnam (6,6), le Cambodge (5,5) et les Philippines (5,4).

Deux lois sont actuellement bloquées au Parlement. Une initiée par le Ministère du Commerce sur la réglementation de l’alcool et une autre soutenue par trois partis, dont deux islamiques, sur la prohibition totale de l’alcool.

Seuls 30% des membres des comités travaillant sur ces lois sont apparemment en faveur d’une interdiction totale au moment même où le gouvernement a quadruplé son budget de promotion pour le tourisme dans le but d’attirer quelques 12 milliards de dollars de devises étrangères.

Les politiciens expérimentés ne pensent pas qu’un interdit total soit jamais appliqué, mais la possibilité demeure puisque des mesures aussi restrictives ont dans le passé été soutenues par des partis non extrémistes afin de s’attirer les faveurs des leaders religieux.

Ce n’est certainement pas une coïncidence si Java-Ouest est en tête avec 62 réglementations locales bannissant totalement ou partiellement l’alcool, devant Kalimantan-Sud (37), Java-Est (30) et Lampung (17).

Comme avec la fameuse loi antipornographie de 2008, les deux partis inspirés par la Charia et soutenant la loi pour une interdiction totale de l’alcool, le PPP et le PKS, insistent sur le fait que la santé publique reste leur motivation première.

Si tel est effectivement le cas, ils ont fait bien peu contre la cigarette, qui tue 400 000 Indonésiens tous les ans dans un pays où 67% des hommes sont fumeurs.

 

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