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La tolérance indonésienne en échec

Ces colonnes ont déjà été à plusieurs reprises utilisées pour rendre compte des peu glorieux faits d’armes d’Habib Rizieq, leader du FPI, et de ses fous d’Allah. C’était pour rapporter et dénoncer des faits de violence, ayant parfois entrainé la mort, sur des minorités religieuses de ce pays, qu’elles fussent Ahmadiyah, chiites ou chrétiennes. Si rien de tout cela n’a changé, ces occurrences étant toujours hebdomadaires, une nouvelle étape a été franchie ces dernières semaines avec des attaques directes visant la liberté individuelle et culturelle. Il y avait eu les efforts pour interdire la diffusion du film « ? », un film sur la religion, sur une chaine de télévision privée. Il y a eu ces attaques envers Irshad Manji, une musulmane canadienne réformiste et lesbienne, venue présenter début mai son dernier livre en Indonésie. Et il y a eu cette levée de boucliers contre la venue de la chanteuse Lady Gaga à Jakarta.
L’intolérance prônée par ces islamistes est actuellement dans une spirale ascendante inquiétante. Irshad Manji était déjà venue promouvoir un de ses ouvrages en 2008. Son séjour s’était déroulé pacifiquement. Elle a été cette fois directement et physiquement attaquée par le FPI pendant une discussion publique. Cinq jours plus tard le recteur de l’Université Gadjah Mada de Yogyakarta, une université réputée pour son ouverture, a préféré annuler une discussion avec Manji pour des raisons de sécurité. Plus récemment encore le même groupe s’est opposé à la tenue du concert de Lady Gaga à Jakarta. Ils reprochent à la star newyorkaise ses tenues et sa prétendue apologie de l’homosexualité et du satanisme. Le pays a pourtant ces dernières années accueilli des chanteuses très sexy comme Beyonce, Katie Perry et Gwen Stefani entre autres, ainsi que des groupes de hard rock à l’imagerie diabolique comme Iron Maiden ou Anthrax, sans parler de la culture locale souvent très sexuellement connotée du dangdut. Il est vrai que certaines chanteuses indonésiennes comme Dewi Persik (cf. La Gazette de Bali n° 36 – mai 2008) ou Julia Perez ont déjà attiré les foudres des islamistes.
Dans une démocratie telle que l’Indonésie prétend l’être, tout le monde a le droit, et cela inclut le FPI, d’exprimer ses opinions, même extrémistes. Là ne réside pas le problème. Ce que la démocratie interdit en revanche, c’est qu’un groupe force les autres à adopter ses opinions, spécialement quand cette entreprise passe par la force et la violence. Face a cette menace, dans une démocratie qui fonctionne, l’Etat, par l’intermédiaire de ses forces de sécurité et de police, a le devoir de protéger son peuple et la liberté individuelle de celui-ci. C’est là où réside le vrai problème actuel. Car dans son utilisation de la violence et de l’intimidation, le FPI n’est en rien empêché par le gouvernement indonésien et par la police qui, au mieux, restent à distance mais semblent même parfois être complices des faits et gestes des extrémistes musulmans.
Il est difficile de connaitre les vraies motivations du FPI et de ceux au plus haut niveau de l’Etat ayant un intérêt à ce que cette situation délétère d’intolérance perdure. Recherchent-ils la notoriété politique ? Veulent-ils que l’Indonésie devienne un pays islamiste, un califat qui à terme inclura aussi d’autres pays et régions environnantes ? La seule certitude est que ces faits sont inscrits du sceau de l’illégalité. La situation actuelle est inconstitutionnelle. En protégeant les préparateurs de ces actes et en décidant de ce qui correspond ou non à la culture nationale, la police indonésienne faillit à sa mission première de protection des individus et outrepasse clairement ses prérogatives.
Le pire, ou l’espoir, est que ces agissements, bien qu’en augmentation, ne représentent qu’une infime minorité de ce que les Indonésiens sont. L’immense majorité ne souhaite pas qu’on lui impose quel dieu vénérer, quel film regarder, quel ouvrage lire, quelle musique écouter ou quel vêtement porter. Preuve en sont les faibles scores des partis musulmans à chaque élection nationale. Mais cette immense majorité tolérante et ouverte, en se contentant du silence laisse actuellement la situation devenir préoccupante et les positions extrémistes gagner du terrain.
Comme l’ont montré les manifestations populaires de 1998 ou, de manière récurrente, quand une augmentation du prix de l’essence est planifiée, cette majorité sait se mobiliser quand on touche à son portefeuille. A chaque fois, le pouvoir a fait volte face. Le FPI n’est pas plus courageux. Quand les Dayaks de Kalimantan se sont rassemblés pour éviter l’arrivée sur leurs terres des responsables du FPI il y a peu, ceux-ci ont piteusement rebroussé chemin (cf. La Gazette de Bali n°82 – mars 2012). Et ils avaient d’ailleurs promis, à ce moment-là, de détourner leur combat ridicule vers celui plus utile de la lutte contre la corruption.
Il n’en tient donc qu’à la volonté collective des Indonésiens et surtout de cette classe moyenne désormais puissante. Qu’elle montre qu’elle a d’autres préoccupations que le matériel et qu’elle peut se mobiliser pour une cause la dépassant. L’Etat ne le fera pas. Si tel n’est pas le cas, l’image actuelle de l’Indonésie, soit disant merveilleux exemple qu’islam et démocratie sont compatibles, finira par voler en éclats. Avec des conséquences économiques lourdes. Et le « Bhinneka Tunggal Ika », cette unité dans la diversité, pourra être retiré de tous les blasons nationaux.

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