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La société balinaise du spectacle

Tous les jours sur Bali TV (prononcer Bali Tipi), la chaîne locale, les infos de « Seputar Bali » et de « Bali Orti » sont vaguement sous-titrées en anglais. Il faut dire « vaguement » car c’est seulement le thème général du reportage qui est expliqué dans un anglais rudimentaire au bas de l’écran. Certes, il n’est à priori pas du ressort d’un francophone de donner la leçon dans la langue de Shakespeare mais cette louable intention d’attirer le regard du monde sur les petites affaires de Bali est malheureusement truffée de fautes d’orthographe et de tournures grammaticales fantaisistes. C’est ainsi que les téléspectateurs ont pu apprendre l’autre jour qu’à l’occasion de l’inauguration d’un collège « trois étudiantes avaient été introduites par le principal » et que dans une razzia de police « deux pilules d’ecstasy avaient été arrêtées ». Leur a-t-on passé les menottes, somme-nous tentés de demander ? Reconnaissons toutefois que ces traductions se sont améliorées depuis les débuts de la chaîne en 2002 mais une compilation des meilleures phrases fournirait matière à un bêtisier du tonnerre à passer en prime time.

Tout ça nous amène à nous demander le bien-fondé de toute cette laborieuse gymnastique d’explication en anglais pour des infos tellement locales qu’elles feraient passer les bulletins de FR3 Poitou-Charentes pour du CNN. Les responsables de la chaîne estiment-ils que le monde entier a les yeux braqués sur Bali et que la moindre cérémonie de limage de dents dans un banjar reculé de la région de Karangasem doit être exposée à la face du monde ? Ou alors s’agit-il d’éduquer les masses balinaises à un anglais de cuisine dans le seul but de faire couleur locale avec les touristes ? Notons au passage que plus de 600.000 Balinais sont analphabètes et que le journal Orti Bali est en langue balinaise pour ceux qui ne comprennent pas le journal en indonésien Seputar Bali. Il est sans doute plus probable que Bali, grisé par cette nouvelle liberté qu’autorisent les télévisions locales, soit victime d’une déviance moderne décrite par Guy Debors dans les années soixante, celle de « La société du spectacle ». Il est vrai qu’à se faire photographier tous les jours dans l’exercice de ses activités quotidiennes, on finit par se croire au centre du monde…

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