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Islam Nusantara : l’Indonésie veut promouvoir un islam différent

Les deux plus importantes organisations musulmanes indonésiennes (Nahdlatul Ulama (NU) et Muhammadiyah) tenaient séparément début août leur congrès quinquennal. L’occasion d’élire de nouveaux leaders certes, mais surtout en ces temps où l’image de l’islam est souillée, de définir l’avenir de cette religion en Indonésie.

Islam Nusantara. L’islam de l’Archipel. C’est avec ce concept que la Nahdlatul Ulama (NU), la plus grande organisation musulmane d’Indonésie, veut préciser l’essence de la religion dont 90% des Indonésiens se revendiquent. Le concept a été promu en réponse aux défis locaux et globaux des pratiques musulmanes, qui ont été fréquemment perçues comme fortement biaisées et tendant vers des mouvements radicaux et intolérants. L’image actuelle de l’islam indonésien a été marquée par de nombreux actes inamicaux et intolérants en réponse à des réalités sociales et politiques.

Ces actes de violence ont été souvent commis par des groupes musulmans radicaux tels que le Front de Défense de l’Islam (FPI), la Force Paramilitaire pour le Jihad (Laskar Jihad), le Conseil Moudjahidin Indonésien (MMI), le Mouvement de Réforme Islamique (Garis) et quelques autres. Cette tendance déplorable s’est particulièrement développée depuis la chute du Nouvel Ordre de Suharto. Le radicalisme et le terrorisme menés au Moyen Orient par l’Etat Islamique sont aussi devenus une source d’inquiétude pour les musulmans indonésiens. L’appréhension des deux grandes organisations religieuses nationales devant la possibilité que les Indonésiens embrassent ces idées violentes et radicales est certainement réaliste. La présence estimée de 500 Indonésiens, essentiellement des jeunes, aux côtés de l’Etat Islamique en Irak et en Syrie en est une preuve.

Face à ces faits, les leaders musulmans nationaux ont voulu développer un concept stratégique afin de contrer ces développements contemporains. La NU étant contre le radicalisme et le terrorisme, elle a décidé de faire campagne pour un islam amical et non violent et de considérer le terrorisme comme l’ennemi commun. A cette lumière, le concept d’Islam Nusantara est donc perçu comme la barrière qui doit protéger des idées pouvant menacer la nature pacifique et modérée de l’islam en Indonésie.

Said Aqil Siradj, président de la NU, explique que « l’islam, en Indonésie, a été propagé par l’approche de respecter les cultures locales, pas de les éradiquer. » Devant la volonté de certains de créer un califat ou un état islamique dans l’Archipel, NU montre ainsi clairement son opposition à cette idée. Le concept d’Islam Nusantara renforce donc les idées d’islam et de nationalisme dans le cadre de l’idéologie étatique du Pancasila, qui ne place pas l’islam au rang de religion d’Etat.

Le concept s’appuie également sur des pratiques culturelles qui n’appartiennent qu’à l’islam tel que pratiqué en Indonésie. Le « halal bi halal  » ou pardon mutuel, est un événement purement indonésien. Comme l’est le « tahlil  », les prières pour les morts, qui a ainsi adapté la tradition locale de respecter et de prier pour les êtres chers disparus à la pratique religieuse. Ou encore le « mudik », ce retour à la maison qui marque tous les ans la fin du Ramadan.

L’affirmation du concept pacifique et tolérant d’Islam Nusantara au récent congrès de la NU est évidemment un pas dans la bonne direction. Son émergence fait sens et mérite tout soutien dans un pays qui a sa part d’extrémisme et de communautarisme. Mais ce n’est encore qu’un pas. Le fait qu’il ait été formulé, développé et promu par les élites de l’organisation ne garantit pas sa compréhension et son acceptation par la base. Le concept a pour lui sa relative simplicité, ce qui devrait faciliter sa « marketisation » auprès des musulmans indonésiens. Mais les efforts soutenus de propagation du message vont désormais devoir être fournis. Le concept ne va pas manquer d’être constamment attaqué par les islamistes locaux, dont la voix est souvent bien plus forte que celle des pratiquants ouverts d’esprit, d’autant plus que certaines personnalités musulmanes populaires semblent au minimum sceptiques sur le concept, quand ce n’est pas suspicieuses.

Par ailleurs, comment les musulmans de l’Archipel vont-ils régler la question des Ahmadis et des Chiites, par exemple, qui sont considérés comme déviants et infidèles par certains musulmans, et donc persécutés ? Là se joue certainement l’une des problématiques majeures de la vie religieuse indonésienne actuelle. Sans aucun doute ce jugement de déviance et d’infidélité mène à la discrimination. Personne ne peut nier que ceux s’en étant pris aux Chiites de Sampang, sur l’île de Madura dans l’est de Java, les forçant à fuir leurs villages, se revendiquaient de la NU.

Dès lors, si l’Islam Nusantara n’apporte pas de solution à ces problèmes, qu’il n’existe aucun effort de réconciliation et que rien n’est fait pour mettre fin à l’injustice subie par les Chiites et les Ahmadis, l’Islam Nusantara ne sera qu’une coquille vide, un nouveau nom pour un contenu ancien.

Au-delà des congrès récents, l’avenir nous dira si le concept d’Islam Nusantara fait long feu, ou s’il parvient à se développer auprès de tous et à se réinventer en permanence en fonction des challenges proposés par l’islam radical et de l’évolution et des besoins de la société indonésienne.

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