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HOMMAGE A LAURA GEMSER, ICONE INDONESIENNE DU CINEMA EROTIQUE

En ces temps de retour du puritanisme, il est bon de se souvenir qu’il y a plus de 40 ans, c’est le phénomène inverse qui se produisait. C’était le temps de la libération sexuelle, lorsque les femmes brûlaient leur soutien-gorge et portaient une mini-jupe pour aller au bureau et que les couples audacieux expérimentaient l’amour à plusieurs. C’était aussi l’âge d’or d’un genre cinématographique disparu, celui des films érotiques, devenu grand public grâce au succès d’« Emmanuelle » en 1974. Peu de gens le savent, dont encore moins les Indonésiens, mais la plus grande actrice de porno-soft de l’histoire du 7ème art est indonésienne. Retour sur la carrière de Laura Gemser, alias Black Emanuelle, icone du B-movie érotique made in Italie…

Laura-gemser--5Si on reconnait Bob Marley comme la première superstar musicale issue du Tiers-Monde, alors il faut rendre justice à Laurette Marcia Gemser et lui accorder le statut de première superstar érotique du Tiers-Monde. Née en 1950 à Surabaya, dans la toute fraîche république d’Indonésie à peine libérée de ses colonisateurs hollandais, cette enfant de Java n’a pourtant pas vécu bien longtemps sur le sol de l’Archipel puisque dès 1955, sa famille émigre à Utrecht, aux Pays-Bas. Diplômée d’une école de stylisme de mode, cette longiligne beauté javanaise possède le physique archétypal de la femme libre des années 70 et elle commence rapidement à faire des photos de nu en Europe, dans des « magazines pour hommes » comme Lui ou Playmen. Sa couleur de peau incarne aussi parfaitement l’érotisme exotique de ces années « Sea, Sex & Sun ». Rapidement, elle décroche un contrat en Italie, pour un premier rôle dans « Amore Libero » qui sortira en 1974. Sa carrière débute donc avec ironie par un film intitulé « Amour libre », ce « seks bebas » tant honni par les mœurs conservatrices de son pays d’origine. Inutile de dire qu’elle a toujours été ostracisée en Indonésie où elle demeure encore complètement inconnue à ce jour.

C’est sans doute là un des aspects les plus méconnus de l’histoire de Laura Gemser. Elle est issue d’un pays et d’une culture qui ne pouvaient d’aucune manière reconnaitre son succès, même si, là aussi, l’Indonésie des années 70 était plus libérale sur ses mœurs cinématographiques qu’elle ne l’est aujourd’hui (cf. La Gazette de Bali n°65 – octobre 2010). Un succès international qu’il faut aussi relativiser tant ses films sont quand même de redoutables navets avant d’être quoi que ce soit d’autre. Des films à géométrie variable afin de contourner les différents niveaux de censure des pays où ils sont commercialisés. Des films à petit budget qui finissent par avoir ni queue ni tête tant ils ont été montés, coupés, remontés de scènes plus ou moins pornographiques selon les visas d’exploitations accordés ici et là. Car il s’agit de films d’exploitation, dans ce cas, des sexploitation movies comme on dit en jargon du cinéma, en l’occurrence des films qui ont exploité le filon Emmanuelle.

Un caractère bien différent de la bourgeoise « Emmanuelle » d’Arsan
D’ailleurs, il faut savoir que Laura Gemser a également joué dans « Emmanuelle ou l’anti-vierge », le 2ème volet de la série « officielle » qui met en vedette Sylvia Kristel, où on la voit dans un petit rôle de masseuse dans un salon hongkongais. Ayant déjà posé nue pour le photographe Francis Giacobetti, ce dernier lui a proposé cette brève apparition dans « Emmanuelle II » qu’il réalise à la suite de Just Jaeckin. Sa beauté magnétique dans cette scène courte ne passera pas inaperçue auprès des spectateurs, ni dans le pays où elle a débuté dans la profession : l’Italie. Et cela donnera à quelqu’un l’idée de créer le rôle qui symbolisera toute sa carrière sur le grand écran, celui d’« Emanuelle Nera », Emanuelle avec un seul « m » afin d’éviter les problèmes de copyright, le premier opus d’une longue série de « Black Emanuelle » produits et tournés en Italie et distribués dans le monde entier.lobby card01

Bitto Albertini, le réalisateur et co-scénariste du premier Black Emanuelle, quelquefois titré « Emanuelle Nera » ou « Black Emanuelle in Africa », a toutefois construit un personnage complètement différent de l’Emmanuelle d’origine créée par Emmanuelle Arsan : celui d’une Américaine photo-reporter très aventurière, une femme forte et indépendante qui a des relations sexuelles avec qui elle veut, quand elle veut, bien loin de l’épouse bourgeoise et oisive du personnage d’origine. Et puis, comme son nom l’indique, Black Emanuelle est noire. D’ailleurs, dans le premier film de la série, qui se déroule en Afrique, Laura Gemser est censée retournée sur le continent de ses ancêtres. Une composante qui s’effacera peu à peu avec le temps et les épisodes suivants, sans doute parce qu’il relevait de la gageure de vouloir faire passer pour africaine sa beauté typique d’Asiatique du Sud-Est… Mais à l’époque, et pour ce genre de porno-soft, cela n’avait sans doute guère d’importance.

Dans ces années 70 et 80 où la série des Black Emanuelle a prospéré, il n’y avait pas Internet, ni Wikipedia, et il était difficile de savoir quelle était l’ethnicité réelle de cette Emanuelle Noire. Dans les journaux où on parlait d’elle, qui ne constituait pas la meilleure presse de cinéma, toutes sortes d’affirmations plus ou moins plausibles circulaient sur les origines de celle qui était entretemps devenue citoyenne italienne. Mariée en 1976 à l’acteur italien Gabriele Tinti, Laura Gemser l’Africaine s’est donc installée à Rome à cette époque et elle y vit encore aujourd’hui. Bref, pour cette enfant terrible de Java, qui n’a jamais fait battage de ses origines réelles et dont les films n’avaient absolument aucune chance d’être vus en Indonésie, vie privée et carrière cinématographique se sont déroulées dans l’ignorance de son pays d’origine.

Elle épuisera tous les sous-genres possibles du porno softLaura-gemser--3Laura-gemser-2
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Des supputations nous viennent dès lors à l’esprit. Auxquelles nous ne pouvons apporter aucune réponse malheureusement, à moins d’avoir l’opportunité un jour d’interviewer directement Madame Gemser et qu’elle nous livre ses souvenirs personnels et familiaux. Il a été écrit dans certains articles biographiques qu’elle avait un ou des parents d’origine hollandaise. Sa famille a-t-elle eu à souffrir de cette situation dans l’Indonésie post-coloniale ? Au point de vouloir émigrer en Hollande ? On connait les massacres de masse qui ont été perpétrés contre les Indo (terme qui désigne les métis indonésien-hollandais) pendant la période dite « Bersiap », celle des années de libération, par les jeunes républicains regroupés sous la bannière « Pemuda ». De nombreux Indonésiens ont fui leur pays pendant les premières années Sukarno. Bref, y a-t-il eu une rupture de la famille Gemser avec son pays d’origine ?

Quand enfin la mode Emmanuelle a fini par tourner, cela n’a pas signifié pour autant la fin de carrière de la belle Javanaise de Surabaya. Elle continuera de mouvoir sa silhouette de sylphide élancée dans pléthore d’autres nanars érotiques inspirés d’autres succès mainstream, comme Conan ou Caligula, et épuisera tous les sous-genres possibles de cet âge d’or du cinéma érotique, comme les films de « bonnes sœurs », de « filles en prison » ou encore les films de « cannibales ». Laura Gemser ne réussira jamais sa reconversion dans le cinéma tout public, malgré quelques tentatives, notamment avec Terence Hill et Bud Spencer. Seul titre de gloire, elle finira par tourner avec Just Jaeckin dans « L’île aux sirènes », un segment du film collectif « Collections privées » sorti en 1979. L’occasion de voir la « fausse Emanuelle avec un m » dans un film du réalisateur de la « vraie Emmanuelle avec deux m ».

Dans le milieu des années 80, le boum du cinéma érotique étant passé, elle aura son dernier rôle dénudé dans « Eleven Days, Eleven Nights II » sorti en 1988. Et quand le cinéma n’a plus voulu d’elle, elle est revenue à ses premières amours, celles du stylisme, travaillant sur les costumes de certaines productions italiennes. C’est après le décès de son mari en 1991, qu’elle a définitivement quitté le show business. Aujourd’hui âgée de 66 ans, l’Indonésienne Laura Gemser, première superstar érotique venue du Tiers-Monde, vit dans un anonymat voulu et assumé à Rome, dans son pays d’adoption.

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