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Existe-t-il une culture de la violence sexuelle en Indonésie ?

Le 2 avril dernier, Yuyun, 14 ans, était violée et tuée par un groupe d’une quinzaine d’individus, certains à peine plus vieux qu’elle, sur son chemin de retour de l’école, dans la province de Bengkulu à Sumatra. Ce n’est qu’un mois plus tard, suite aux efforts d’activistes sur les réseaux sociaux, que les médias nationaux ont relayé l’affaire et provoqué l’outrage général. Un drame qui révèle une facette peu débattue de la société indonésienne.

Lisez quotidiennement les journaux indonésiens ou interrogez les femmes indonésiennes de votre entourage. Le résultat est le même : il n’est pas rare de lire (en brèves) ou d’entendre des histoires de violences sexuelles en Indonésie. Celle de Yuyun aurait pu n’être qu’une histoire supplémentaire, même si les viols en réunion ne sont pas la norme. Mais Kartika Jahja, une musicienne et activiste, a eu vent du drame. Ecœurée que l’histoire ait été ignorée, elle initie une campagne sur Twitter qui se développe rapidement, jusqu’à ce que les médias nationaux la relaient. Depuis, le débat fait rage un peu partout et quelques langues se délient, preuve que le phénomène existe.

national03Selon Kate Walton, activiste pour les droits des femmes basée à Jakarta, « Yuyun n’est en fait qu’une des 44 femmes et filles tuées par des hommes et des garçons dans les quatre premiers mois de cette année 2016 en Indonésie, mais son exemple est certainement un des plus brutaux ». D’après elle, 30 de ces femmes ont été tuées par leur actuel ou ancien partenaire sexuel, des hommes qu’elles connaissaient donc, ce qui est très majoritairement le cas partout dans le monde.

D’après la Commission nationale sur les violences contre les femmes, une moyenne de 35 femmes sont victimes de violences sexuelles en Indonésie tous les jours. Près de 70% de ces cas, qu’ils soient fatals ou non, sont commis par des membres de la famille ou des partenaires.
Faisant suite au débat lancé après le viol de Yuyun, de nombreuses voix se sont élevées pour que le gouvernement s’empresse de faire passer la loi sur l’élimination de la violence sexuelle qui, comme de nombreuses autres, attend que les députés daignent se mettre au travail, ce qui objectivement ne laisse augurer rien de bon à court terme. Le président Jokowi, lui aussi témoin de l’inefficacité parlementaire, n’a donc pas exclu de faire passer un décret présidentiel.

Il n’y a viol que lors d’une pénétration vaginale
Il est certain que la législation indonésienne sur les violences sexuelles doit évoluer massivement. D’abord, les peines encourues (15 ans de prison maximum) sont faibles et souvent minorées. Ensuite, le système indonésien fait que quelqu’un voulant porter plainte doit être en mesure d’apporter des preuves physiques et au minimum deux témoins. Le code pénal indonésien ne reconnait pas le viol marital, cela fut seulement intégré plus tard dans une loi sur la violence domestique. Il ne considère aussi que la pénétration vaginale comme viol. Donc si quelqu’un est forcé à pratiquer du sexe anal ou oral, cela ne peut compter comme viol, seulement comme agression sexuelle, ce qui est beaucoup moins sévèrement jugé par les tribunaux indonésiens. Enfin, les femmes peuvent prouver leur absence de consentement si, et seulement si, il existe des preuves physiques de violence ou de menaces de violence. Cela veut dire qu’un « non » ou l’absence d’un « oui » ne sont pas suffisants pour prouver l’absence de consentement.

Si le souffle de la mobilisation ne s’épuise pas, l’arsenal législatif contre les violences sexuelles devrait donc évoluer. Mais comme souvent, la réponse proposée par le gouvernement est-elle celle dont le pays a véritablement besoin ? Le président Jokowi et plusieurs de ses ministres ont évoqué certes des peines de prison plus longues, mais aussi la peine de mort et la castration chimique. Si ces mesures éventuelles ne susciteront que peu d’opposition parmi les Indonésiens, la question des Droits de l’Homme se pose.

Mais surtout, ces réponses ne tiennent en aucun cas compte des raisons qui font que le pays fait face à une situation d’urgence en ce qui concerne les violences sexuelles. Dans ces moments-là, le diable de la culture occidentale n’est jamais loin. Ainsi la députée Fahira Idris a-t-elle proposé d’interdire l’alcool, source à ses yeux des maux de la société indonésienne. Mais en blâmant l’alcool pour expliquer les viols, elle retire de fait toute responsabilité aux auteurs des violences. De même, il n’est pas rare d’entendre que la manière dont certaines femmes s’habillent est une incitation légitime au viol.a

 

Pas d’éducation sexuelle à l’école, ni dans les familles
Quelles sont dès lors les raisons principales pouvant expliquer cette apparente culture du viol dans l’Archipel ? L’arsenal législatif inadéquat peut être avancé comme une explication. Il en existe d’autres. Les valeurs patriarcales de la société indonésienne semblent en être une autre. Dire aux filles et aux femmes ce qu’elles doivent (ou pas) porter, ou aller, à quel moment, ce qu’elles doivent boire (et en quelle quantité), comment elles doivent se tenir, comment se comporter en présence d’étrangers… Tout cela fait partie d’une culture du viol, une culture qui fait que si les femmes ne respectent pas ces codes, tout ce qui peut alors leur arriver est de leur faute. Il est en Indonésie, comme dans de nombreux autres pays d’ailleurs, plus pratique et plus culturellement acceptable de blâmer les femmes.

Enfin, s’il devait exister une raison essentielle à ces problèmes, celle-ci se situerait dans le système éducatif national. Celui-ci, parmi bien d’autres tourments, ne comporte absolument aucune éducation sexuelle. Le sujet est également tabou dans les familles. Et l’on ne parle pas ici d’une leçon biologique sur les différences entre un pénis et un vagin. La société indonésienne a certainement besoin d’une discussion ouverte sur la notion de consentement. Quelle meilleure plateforme que l’éducation sexuelle pour atteindre chaque individu ?

Faute de quoi, et malgré des peines de prison plus fermes, politiques et experts en tous genres continueront d’expliquer que les crimes sexuels, encore plus quand ils impliquent des mineurs, sont les conséquences de l’alcool, de la pornographie, de trop de liberté sur Internet, ou encore de mauvaises fréquentations. Et la liste n’est pas exhaustive. L’Indonésie continuera dès lors à compter ses Yuyun…

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