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Des télés cathodiques symboles de modernité entrepreneuriale

C’est l’histoire qui avait mal commencé, mais qui heureusement finit bien, de Mohammad Kusrin, un citoyen indonésien de Karanganyar (Java-Centre), qui apparait ici en sa qualité de chef d’une petite entreprise de postes de télévision. Kusrin, 42 ans, est devenu un héros national en quelques mois et on peut le voir maintenant tous les jours à la télé dans des spots publicitaires qui vantent ses qualités d’entrepreneur mais aussi celles de ses produits « made in Indonesia » . Pourtant, cette success story typiquement indonésienne ne s’est pas faite simplement, sinon elle n’en aurait pas été une… Il a d’abord fallu qu’il y ait de fortes doses de pathos, d’injustice, d’indignation et de solidarité citoyenne pour que les malheurs de Kusrin, persécuté par un système aveugle, sans coeur et dénué de bon sens, se transforment finalement en conte de fée. Et c’est après avoir connu le tribunal et la prison ainsi que la saisie et la destruction de la production de sa fabrique que Kusrin est devenu aujourd’hui le symbole d’une Indonésie entreprenante, moderne et innovante. Du pain béni pour le président Jokowi qui, malgré ses appels aux gros investissements étrangers, tient aussi à son image de défenseur de la microéconomie dans un pays livré traditionnellement aux monopoles d’une oligarchie qui négocie dans les couloirs du pouvoir ses parts de l’économie nationale, au détriment des forces vives de la nation, comme l’a illustré récemment l’affaire « Papa minta saham » (cf. La Gazette de Bali n° 127 – décembre).

-314Kusrin a le profil parfait du héros indonésien revenu de toutes les adversités. Il n’est diplômé que de l’école primaire et, après avoir été manoeuvre sur des chantiers plusieurs années, c’est sur le tas qu’il a appris les circuits imprimés, chez un réparateur qu’il a secondé quelques temps dans le dépannage des appareils électroniques. Devenu tukang servis elektronik à part entière de façon autodidacte – les Indonésiens adorent les autodidactes qui symbolisent la revanche sur le sort par rapport aux classes aisées qui bénéficient des bonnes écoles – Kusrin, qui a démontré d’indéniables capacités dans cette branche, a fini par fabriquer lui-même des télévisions à tube cathodique dans sa maison avec des tubes d’ordinateur de récupération, dont des stocks importants sont inutilisés depuis le passage à l’écran plat.

Jusqu’à 5000 postes produits par mois

Avec des prix extrêmement compétitifs pour les différents modèles, entre 300 000 et 400 000rp pour le 14 pouces et 550 000 jusqu’à 600 000rp pour le 17 pouces, ces téléviseurs baptisés selon les couleurs Maxreen, Veloz et Zener ont connu un succès immédiat et grandissant auprès des gens aux revenus modestes dans les kampung de Java-Centre ces dernières années, franchissant même les frontières de Java-Ouest. Kusrin a donc inventé le poste de télé indonésien pour tous et à petit prix. Sa microentreprise s’est alors développée avec une certaine vigueur, Kusrin employant plus de 30 personnes et produisant jusqu’à 150 unités par jour (ou 5000 par mois) au début 2015. Mais alors, c’est tout, ce n’est que cela la success story de Kusrin ? Non, bien sûr, nous n’en sommes encore qu’au début car c’est à cette époque que les « méchants » entrent en scène avec d’abord une dénonciation auprès des autorités – ici, on est toujours très vite jalousé en cas de réussite, alors gare aux délateurs ! Le couperet tombe : les postes de Kusrin n’ont pas de certification, ils ne sont pas conformes aux standards nationaux indonésiens (SNI).

-315Le Dinas concerné, avec la police, diligente une enquête et débarque finalement chez le malheureux Kusrin pour vérification. Etant donné que ces produits sont en partie fabriqués avec des pièces de récupération, donc qui ne sont pas neuves, il se défend de la façon suivante : « Sur les cartons d’emballages, il est écrit TV CRT reconditionnée parce que nous utilisons des moniteurs d’occasion, même si tous les composants électroniques sont neufs. » Rien n’y fait, les fonctionnaires ne veulent rien entendre et l’arrête. Ils saisissent 225 appareils dans l’entrepôt et un millier de tubes cathodiques ainsi que ses outils de production. Notons au passage que l’obtention de la certification SNI est, comme à l’accoutumée dans les administrations indonésiennes, une longue et laborieuse procédure qui finit par coûter fort cher même si, sur le papier, ce n’est pas le cas. De quoi décourager notre entrepreneur débrouillard mais aux moyens limités… D’ailleurs, il affirme, probablement en toute bonne foi, ne pas savoir qu’il devait se conformer aux SNI.

30 000 netizens signent la pétition pour Kusrin

-316Devant les objectifs de la presse, sans doute pour faire montre de leur force et rappeler que loi prévaut en toute occasion, les fonctionnaires de justice organisent une petite « cérémonie » pendant laquelle ils brûlent une partie des télés. Le gros du stock sera lui détruit au rouleau compresseur hors caméra. Voilà sans doute l’erreur de communication du pouvoir local qui, pensant faire peur et inciter le quidam qui aurait des velléités d’entreprendre à la sauvage à se mettre en règle, va en fait déclencher la colère citoyenne sur les réseaux sociaux. L’info et les images de l’« autodafé cathodique » font le tour d’Internet en moins de deux, finissent par se retrouver sur les télés nationales, dans les grands quotidiens, bref, c’est l’indignation générale et une pétition en ligne est signée par 30 000 personnes en un rien de temps. On découvre alors que Kusrin a été envoyé en prison pour six mois, qu’il a une mise à l’épreuve d’un an, et qu’il a dû payer une amende. Scandale !

Les malheurs de Kusrin remontent alors dans les hautes sphères, le ministre de l’Industrie Saleh Husin se penche sur le dossier et lui promet la certification SNI rapidement. Paradoxe pour le moins criant si on y regarde de près, ses télés cathodiques, dont la technologie remonte quand même aux années 30, bénéficient ensuite du soutien direct du ministre de la Recherche et de la Technologie Muhammad Nasir. Puis, consécration ultime, le président Jokowi le reçoit au palais présidentiel pour un meeting privé. Certains journaux n’hésitent plus à titrer, sans le moindre recul, « Kusrin, un génie créateur de TV » s’inclinant bien bas devant cet Albert Einstein de la téloche qui a désormais ses entrées au palais. Kusrin peut rentrer chez lui la tête haute, la production des Maxreen, Veloz et autre Zener a repris avec l’autocollant SNI dument apposé et ses déboires ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Et puisqu’il s’agit d’une histoire de télé, cela ne pouvait finir qu’en apothéose télévisuelle avec une pub pour la boisson énergisante indonésienne Kuku Bima dans laquelle Kusrin définit au milieu de stars locales son positionnement entrepreneurial près du peuple et le bien-fondé de ces téléviseurs à tube cathodique devenus tout un symbole de l’Indonésie technologique qui avance à grand pas vers l’avenir. Alors, le modèle LCD, ça sera pour quand ?

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