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Démographie à la balinaise

Lors du sommet sur le changement climatique de Copenhague en décembre dernier, tous les participants se sont déclarés conscients du besoin impératif de lutter ensemble contre le réchauffement planétaire. Mais si personne n’a contesté l’extrême urgence de limiter les émissions des gaz à effet de serre, chaque pays avait une solution différente à proposer, ce qui retardera à coup sûr le lancement des mesures salvatrices pourtant si pressantes.

Parmi toutes les idées avancées pour maîtriser ce phénomène qui menace l’avenir de l’humanité, l’une des principales origines du réchauffement n’a été évoqué que peu : l’accroissement persistant de la population mondiale ! C’est apparemment la susceptibilité des pays en voie de développement – dont la plupart subissent une démographie galopante – qui serait à l’origine du fait que le sujet soit devenu presque tabou.

La population mondiale a doublé au cours des cinquante dernières années et les 6 milliards d’individus que nous sommes actuellement seront 9 000 000 000 en 2050 ! En Indonésie, la population a doublé depuis 1970 et les prévisions indiquent un chiffre de 300 millions habitants à l’horizon de 2050.

Depuis plus de quarante ans, le gouvernement de Jakarta promeut le Keluarga Berencana, le planning familial. Le célèbre «  KB » est connu à travers tout le pays et visualisé à l’entrée de nombreux villages par des monuments en forme de deux doigts surdimensionnés qui signifient : Deux enfants, c’est assez ! Malgré les chiffres précités, ces efforts ont certainement porté quelques fruits… auprès de la population des grandes villes. Tandis que les habitants du milieu rural en rient ! Notamment dans les îles excentrées, les consignes du lointain pouvoir central n’ont qu’un impact très limité.

Même à Bali, qui n’est pourtant ni la plus décentrée, ni la plus arriérée des îles de l’archipel, les recommandations du « KB » ne remportent pas beaucoup de succès. Parmi les premières observations que fait le visiteur de l’Ile des Dieux figurent l’ampleur de la descendance locale, le degré d’amour que les Balinais témoignent à leurs rejetons et le temps qu’ils consacrent à leur éducation. Mais si les enfants balinais bénéficient d’un statut tellement privilégié, c’est aussi parce qu’ils représentent la garantie d’une retraite sereine pour leurs parents !

Dans la préséance des questions qu’un Balinais pose lors d’une première rencontre, la question « berapa anak ? » (combien d’enfants ?) vient tout de suite après celles qui s’enquièrent du nom, des origines et du statut marital de l’interlocuteur. Contrairement aux habitudes occidentales, la question sur le métier exercé ne vient que beaucoup plus tard et indique la différence d’importance entre travail et famille. Les fruits du labeur étant en général insuffisants pour financer une retraite heureuse, on est obligé de faire appel aux enfants pour assurer sa vieillesse.

L’adage balinais « bek panak, bek arte » peut s’interpréter aussi bien par « beaucoup d’enfants, beaucoup de revenus » que par « les enfants sont une bénédiction ». Il traduit la vérité qu’en l’absence d’un équivalent de notre système d’assurance-vieillesse généralisée, les parents ne peuvent se protéger du danger d’une fin de vie dans l’indigence, qu’en ayant procréé suffisamment d’enfants. Mon beau-père, par exemple, n’a pas de soucis à se faire quand il doit effectuer un séjour à l’hôpital : ses trois demi-douzaines d’enfants se partagent les frais médicaux.

Quant à ma belle-mère, la spiritualité de ses fonctions de pedanda, grande prêtresse de la caste des Brahmanes, ne lui a pas fait perdre son sens pratique. Quand notre aîné lui rend visite au griya, elle ne manque jamais de demander à son petit-fils, qui touche son salaire en France, s’il a bien pensé à apporter son écot pour la maisonnée.

Confucius disait : « Si vous faites des plans sur un an, plantez du riz. Sur dix ans, plantez des arbres. Sur toute une vie, éduquez vos enfants. » A Bali, on semble l’avoir si bien compris que nous pouvons dire adieu à l’espoir d’une diminution des naissances et il y aura plutôt les tourments de la surpopulation à saluer.

Il ne faut toutefois pas blâmer les Balinais : le changement climatique est un concept trop abstrait pour inquiéter les individus, quelles que soient leurs origines. Nous-mêmes, avons-nous changé nos comportements devant les catastrophes à venir ? Tant que nous ne nous sentirons pas personnellement menacés dans notre quotidien, nous resterons insensibles aux plus apocalyptiques des descriptions de notre futur. Tant que nous ne serons pas motivés pour adopter une conduite responsable envers l’environnement, c’est la Terre qui continuera à en pâtir.

Alors, peu importe le nombre de petits Wayan, Made, Nyoman et Ketut qui seront encore conçus… ça va (ré)chauffer !

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