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Castes… à la balinaise (VI)

Les affaires de Jean marchent de mieux en mieux. Avec chaque container sa pratique s’affine, ses connaissances s’approfondissent et ses marges augmentent. Son activité devient si rentable qu’il décide de faire le grand saut et de s’installer à Bali pour de bon.

Ô combien il admire depuis des années les membres de la caste des Brahmanes, comme il appelle les résidents permanents de Bali ! Depuis trop longtemps il a envie de faire partie de la colonie des expatriés, ces êtres suprêmes qui se sont approprié l’Ile des Dieux. Sans hésiter d’avantage, il liquide ses biens en France, annule ses engagements, et vient poser ses valises à Seminyak.

Jean est convaincu qu’en restant ici de façon permanente, il peut se lancer plus aisément dans la fabrication de ses propres produits. Il maîtrisera mieux le processus de fabrication et contrôlera toute la chaîne, de l’approvisionnement des matières premières jusqu’à la finition et l’expédition. En embauchant ses sous-traitants pour les faire travailler comme ouvriers salariés, il abaissera encore ses prix de revient et améliorera ses bénéfices.

D’autant plus que sa dernière trouvaille est l’idée du siècle ! Après les succès mitigés qu’ont connu ses cerfs-volants et ses sarongs transformables en sacs de plage, il va gagner le gros lot… avec des sex toys ! Il a rapporté de France toute une gamme de jouets intimes en plastique. Après quelques menues modifications, il les fait réaliser en bois par les mains douées des artisans balinais.

Avec la tendance « back to nature », il est tout à fait dans l’air du temps avec une matière naturelle et renouvelable. Même si le bois n’offre pas autant d’application que les autres matériaux, il reste un nombre surprenant de fonctions possibles. Dommage que la décence nous interdise d’en donner les détails. Comble de l’ironie, il fait étiqueter ses articles avec la mention « Made in Indonesia », le plus grand pays musulman du monde ! En France, des copines dégourdies écoulent sa gamme en animant des réunions du genre « Tupperware ». Succès garanti !  
                    
S’installer sur un autre continent ne se fait évidemment pas sans quelques difficultés d’adaptation. Les rapports de Jean avec ses ouvriers ne sont pas de tout repos, le propriétaire de son atelier de fabrication se montre d’une cupidité excessive et il ne comprend pas pourquoi les autorités administratives lui mettent sans cesse des bâtons dans les roues. Chaque semaine, il a de nouveaux obstacles à surmonter et découvre des situations qu’il n’avait jamais à affronter en tant que visiteur à temps partiel.

Juste au moment où une rage noire commence à l’envahir envers toute l’île et ses habitants, il rencontre Sari. C’est une Balinaise qui a vécu suffisamment longtemps en Angleterre pour y avoir assimilé la culture et l’esprit occidentaux. En partageant de plus en plus la vie de Jean, elle l’aide à regarder son voisinage avec plus de clairvoyance.

Ainsi, elle lui dévoile les bases de l’hindouisme balinais et lui fait comprendre que l’attitude apparemment enfantine est en réalité un état de béatitude. Jean commence à découvrir les aspects cachés de la culture locale et à la lumière des explications de Sari s’efface peu à peu l’ombre des mille et un malentendus. Ses critiques acharnées s’estompent et son respect envers la population autochtone augmente.

Bien qu’il devienne plus humble face à cette société aux règles si étranges, Jean n’arrive pas, contrairement aux Balinais, à accepter la réalité avec ses imperfections. Il ne peut pas faire abstraction de son acquis culturel occidental et continue, dominé par son orgueil, à imprégner cet univers spirituel avec l’esprit commercial.

En cela, il est aidé par la domination impérieuse d’un capitalisme en train d’imposer sa dure loi de marché partout et à tout le monde, Bali en est la preuve ! En à peine deux générations, ce régime impitoyable a réussi à semer la zizanie du dieu fric et à contrecarrer tous les admirables efforts de conserver l’harmonie universelle !

Par contre, quand Sari lui annonce être enceinte, Jean s’étonne de sa propre réaction. Il trouve que c’est la meilleure nouvelle qu’il ait jamais entendue ! Et un sourire tout balinais illumine son visage …
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Ceci est le dernier article d’une rubrique qui existe depuis plus de quatre ans. Je tiens à remercier mes fidèles lecteurs et espère leur avoir fourni autant d’occasions de sourire que de sujets à réflexion. A court d’inspiration et ne voulant pas me répéter, je cède la place à d’autres plus en verve. Comme disent les sages : « La seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout change sans cesse. » Ainsi va le monde !

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