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Castes… à la balinaise (IV)

Jean connaît maintenant tous les endroits magiques de Bali. Il s’est promené dans les environs exubérants d’Ubud, a admiré le panorama du haut des collines calcaires de Bukit, a crapahuté à travers les champs de lave lunaires sur les versants des volcans et a plongé son regard dans les profondeurs des lacs Bratan et Buyan. (Oh, la surface immobile des eaux sombres bordées de jardins aux pelouses si joliment soignées…)

C’est à Jati Luwih que Jean est réellement tombé amoureux ! Au lieu de se laisser ensorceler par une gracieuse Ayu ou Dewi Sri, il a été fasciné par la beauté des rizières dés qu’il a posé son oeil sur le paysage des champs en terrasses s’étalant sur le flanc du Batu Karu. (Oh, ces jolies diguettes délicatement incurvées…)

Alors, il a commencé à s’intéresser davantage à la culture du riz qui détermine tant le mode de vie de la société balinaise. Il a visité le musée Subak Mandala Mathika près de Tabanan pour apprendre tout sur une technique d’irrigation perfectionnée au fil des siècles, avec son système de canaux, tranchées, rigoles, fossés et tunnels qui conduisent l’eau des rivières vers les champs à inonder. (Quel casse-tête de faire couler la même quantité d’eau sur chaque lopin de terre…)

De retour en France, Jean astreint son entourage à écouter ses exposés sur la collaboration des riziculteurs au sein du subak et à visionner les centaines de photos prises à chaque voyage. (Oh, cette adorable mosaïque des pousses vertes se reflétant dans l’eau…) Mais
l’assistance a du mal à saisir l’exaltation de l’ami voyageur.

Après avoir parcouru Bali en long et en large, Jean projetait de découvrir d’autres îles de l’immense archipel indonésien. Il aurait voulu assister aux cérémonies des Toraja à Sulawesi (Oh, cette jolie région pleine de rizières…), rencontrer les dragons préhistoriques de Komodo et admirer à Sumatra le lac Toba entouré de volcans. Peut-être aurait-il même osé explorer des contrées encore plus sauvages pour y dénicher des tribus primitives comme les Dayak ou les Papous. (Oh ces drôles de koteka…)

En voulant glaner sur l’Internet des renseignements pour ses expéditions à venir, il est tombé sur le site du Ministère des Affaires étrangères. Entre autres, les attachés ministériels français publient un communiqué concernant l’Indonésie qui énumère les multiples périls guettant tout baroudeur qui aurait l’idée saugrenue de visiter le pays de tous les dangers. (*)

Citoyen discipliné, Jean a soigneusement étudié ce chef-d’oeuvre de la diplomatie française. Sur plus de dix pages, l’audacieux globe-trotter est mis en garde que maintes régions sont régulièrement (avec régularité ?) soumises aux séismes qui « peuvent faire des milliers de
victimes », que les éruptions volcaniques y sont monnaie courante et qu’un autre tsunami « ne saurait être exclu » !

On prévient les candidats au voyage au long cours qu’il vaut mieux ne pas visiter les régions secouées par des troubles interreligieux, ni celles hantées par des bandits, voire des bandes armées ! Car même là où le calme est revenu et les derniers incidents agités datent de 2005, « un regain de tension n’est pas à exclure » !!! Pour la Papouasie, on déconseille catégoriquement tout déplacement « non indispensable ».

Comme ces avertissements ne suffisaient pas, les technocrates pantouflards découragent leurs administrés de monter sur les bateaux indonésiens, trop vétustes, bourrés de passagers excédentaires et connus pour leur équipement de sécurité défaillant. D’autant plus que la piraterie maritime dans cette zone est légendaire.

Certaines formulations font carrément douter des facultés de raisonnement logique des énarques du Quai d’Orsay, comme celle qui exhorte à éviter « les lieux fréquentés par les ressortissants étrangers », car ils « peuvent constituer des cibles privilégiées pour des groupes terroristes. » Après ces sévères mises en garde, la conclusion arrive comme un fleuron d’antinomie : « L’Indonésie est un pays magnifique et une destination touristique à juste titre très courue. »

Ne blâmons donc pas Jean s’il renonce à s’embarquer dans des épopées dont l’issue semble terriblement incertaine. De plus, lors de ses derniers séjours sur l’île, il avait rassemblé quelques échantillons à l’intention d’amis qui tiennent commerce d’artisanat : jouets en bois, sarongs en batik et des peintures abstraites. (Oh, ces couleurs joliment tapageuses…) Plus que la créativité ou la qualité d’exécution, ce sont les faibles prix d’achats qui ont eu du succès auprès de ses copains commerçants…

(*)[http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs_909/pays_12191/indonesie_12260/index.html->http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs_909/pays_12191/indonesie_12260/index.html]

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