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Castes… à la balinaise (V)

Les échantillons d’artisanat balinais que Jean a ramenés à ses amis commerçants ont connu un franc succès. Au point qu’il a envie d’amortir ses voyages en se lançant dans le métier d’acheteur. Mais comme il est quelqu’un de prudent, il préfère commencer à l’essai : étant fonctionnaire, il n’a aucun mal à se faire accorder une année sabbatique.

Il revient à Bali, muni d’un carnet de commandes joliment rempli. Des amis de longue date lui font confiance et le cahier des charges reste suffisamment vague pour lui laisser les coudées franches lors de la recherche de produits adéquats. Il a néanmoins une idée assez précise quant aux articles à acquérir qui rempliront son premier container à destination de la France.

Par contre, dénicher les bons fournisseurs, s’avère d’un autre degré de difficulté. Bien qu’il eût déjà repéré certaines entreprises lors de ses précédents séjours, il découvre à ses dépens que beaucoup ne peuvent convenir. Il y a les exploitations qui manquent de disponibilités à cause d’un volume important de commandes en attente. Il y a les artisans dont la qualité des travaux finis laisse à désirer. Puis, il y a les fabricants qui exigent des prix pas du tout conformes avec ce qu’ils avaient annoncé préalablement.

Pour compenser ces contretemps, Jean a délaissé la voiture de location et son chauffeur habituel et s’est mis à la conduite à moto. Il se soustrait ainsi partiellement à l’une des principales sources d’agacement à Bali : les embouteillages. Le trafic dans le sud de l’île a explosé ces dernières années et les voitures y sont de plus en plus larges. Tandis que l’étroitesse des routes balinaises reste désespérément inchangée. Time is money!

Conduire une moto en Indonésie est pourtant vigoureusement déconseillé par le ministère des Affaires étrangères. Dans un communiqué publié sur Internet (voir ma rubrique précédente), la diplomatie française affirme que les routes n’y sont pas sûres. (Certainement parce que les routes en France le sont !) Le danger serait causé par « la conduite à gauche », « la présence fréquente de piétons et d’animaux » et « un comportement parfois erratique des conducteurs » !

Faisant mentir les oiseaux de mauvais augure, l’apprentissage de Jean se déroule sans problème majeur. Bien sûr connaît-il quelques frayeurs avant d’avoir digéré toutes les particularités de la conduite locale. Mais une fois banni le respect du code de la route français (important pour la santé) et l’ego mis au placard (primordial pour la survie), il arrive à s’accommoder de cette circulation basée sur une mentalité si différente.

Bouchons ou pas, Jean est aux anges. Confiné jusqu’alors dans la grisaille de son environnement bureaucratique, il évolue désormais dans l’espace ouvert et en pleine indépendance. Il jouit d’autant mieux de son autonomie qu’elle lui procure la capacité de dicter ses conditions. Auparavant, il n’était qu’un subalterne qui recevait des directives, instructions et consignes de toutes sortes. Maintenant, c’est lui qui donne des ordres ! 

Les premiers à en faire l’expérience sont les fournisseurs. Si Jean ignore encore presque tout de sa nouvelle activité, il a déjà pigé le principal : l’univers des affaires est un monde en guerre qui exige le combat permanent ! Pour réaliser des bonnes affaires, il faut se montrer dur et intraitable, à l’image d’un guerrier. Par conséquent, Jean est aussi exigeant sur le prix (balinais) que pointilleux sur la qualité (niveau export). Il n’hésite pas à guerroyer pendant des heures pour grappiller les derniers rupiah et obtenir le prix le plus bas. Peu importe que l’ouvrier qui façonne ses articles touche moins pour sa journée de travail que ce que lui-même dépense le soir venu pour le premier de ses apéros. Dans les affaires, un sou est un sou !

Au fur et à mesure que Jean apprend son métier d’acheteur et découvre les finesses du business local, ses affaires deviennent de plus en plus juteuses. Le fait de facturer à ses clients des commissions sur les ventes ne l’empêche nullement de toucher un pourcentage sur les achats de la part des fournisseurs. Avec la complicité du « cargo », les relevés à l’intention des services de la douane et des impôts sont minorés pendant que les factures à ses « amis » clients sont majorées. Les affaires sont des affaires !

Depuis que Jean est devenu un pro, il se classe évidemment au-dessus du simple touriste. Celui-ci ne vient à Bali que pour se divertir, alors que lui est ici pour des raisons bien plus importantes : pour le bizness ! Au bout d’une longue journée de travail, il est trop fatigué pour dispenser ses judicieux conseils aux vacanciers. Si bien qu’il préfère, et de loin, fréquenter les membres de la caste suprême … les expats.

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