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Cinoche… a la Balinaise

Pourquoi le reportage « Bali : un paradis en danger ? », diffusé il y a deux mois sur TV5, a tant dérangé la communauté française installée sur place ? À cause des moyens peu scrupuleux utilisés lors du tournage ou parce qu’on y démolit si scandaleusement l’image idyllique de notre île chérie ?

La question mérite d’être posée. Car le film a déchaîné un tel émoi que La Gazette de Bali se devait publier les avis de ses lecteurs, tous plus scandalisés les uns que les autres. Et pourtant, son éditeur en chef, notre aigle des mots, avait tant envie « de passer ce navet aux oubliettes. »

Ce bouillonnement émotionnel me paraît trop vif pour être suscité par une simple indécence journalistique, eût-elle été aggravée de mensonges pour soutirer aux malheureux interviewés les commentaires visés. Et la découverte que France 5 rivalise désormais avec les chaînes privées pour le titre de la télé-poubelle la plus cradingue ne constitue pas non plus une révélation renversante.

Non, je retiendrais plus volontiers l’hypothèse d’une cause mieux placée pour soulever l’indignation et provoquer des réactions aussi affectives : notre amour pour Bali ! Un amour tellement passionnel qu’il suffit d’un zeste de critique envers l’élu de notre cœur, centre de nos existences privilégiées, pour que notre rythme cardiaque s’accélère au point de frôler l’infarctus. Alors, gare aux fesses de l’insolent imposteur qui ose éclabousser l’innocence immaculée de notre îlot adoré !

Bien sûr, aucun parmi nous n’ignore que quelques menus problèmes de gestion en matière de déchets, d’énergies et d’infrastructures peuvent de temps en temps dérégler le quotidien insulaire. Mais qu’une personne venant d’ailleurs, ne sachant même pas apprécier la teneur calorifique des épinards locaux, s’avise à prétendre que Bali est en proie à des discordances culturelles, alors là, nous ne pouvons plus être d’accord !

À moins que ce ne soit la peur d’une possible diminution de l’afflux touristique. Les nombreux expatriés qui dirigent une affaire ou participent d’une façon ou d’une autre à des entreprises commerciales, profitent évidemment de l’arrivée massive des voyageurs sur l’île. Une mauvaise publicité engendre du manque à gagner, peut-être source de la prochaine faillite. Chaque visiteur en moins étant un client potentiel perdu, ce n’est pas demain que le Bule moyen avouera être à l’origine de la propagation du plastique, de l’alcool, des drogues et de l’inflation des prix.

Un scandale en chassant un autre, c’est le film d’un Singapourien qui bouleverse depuis le mois dernier les responsables du tourisme balinais. En visionnant ce court-métrage, ces fonctionnaires candides découvrent – frissonnant d’horreur – qu’il existe un tourisme sexuel féminin à Bali !

Ces employés modèles n’ignoraient nullement qu’une vie nocturne dépravée s’était installée dans nos régions côtières. Mais devant la foule de toutes ces jeunes femmes occupées à satisfaire les désirs intimes des touristes mâles contre rétribution, il leur avait échappé qu’il était également devenu monnaie courante que de jeunes mâles musclés dépannaient volontiers des voyageuses étrangères avec des services similaires.

Le titre de ce pseudo-documentaire (les participants ont eu droit à des défraiements) « Cowboys in Paradise » se sert pourtant d’une désignation qui n’a rien d’inédit. Le terme de « Kuta Cowboy » est devenu au cours des décennies une appellation presque certifiée et ses titulaires procurent de bons offices (dit-on) aux vacancières, avant tout japonaises et australiennes.

Si on considère ce phénomène plutôt comme promotionnel, propice à l’augmentation tant souhaitée du tourisme balinais, les réactions gouvernementales paraissent un brin hypocrite : le ministre du Tourisme demande l’aide à son collègue des communications pour empêcher la distribution du film et le chef de la région de Kuta voudrait recenser tous les coureurs de plage.

Il y a une vingtaine années, Bali était une authentique destination pour le tourisme culturel, les amateurs de « Sea, Sex and Sun » se dirigeant exclusivement vers la Thaïlande. Depuis, cela a bien changé. A qui la faute ? N’est-ce pas l’appât du gain, l’entrée massive de devises garantie par un tourisme de masse sans prétentions culturelles qui a laissé se développer l’industrie tant décriée aujourd’hui ?

Par un étrange hasard de mimétisme, les deux films se servent du terme « paradis » dans leurs intitulés. Hati-hati : celui qui souhaite créer un paradis doit aussi accepter l’enfer… et l’apparition de tous les fléaux qui vont avec, dont prostitution, stupéfiants, SIDA, pollution, escroqueries et vols ne sont que quelques-uns des insanités d’une société aussi hétéroclite.
Il ne faut pas se leurrer : l’Ile des Dieux est envahie par une déculturation galopante qui bouleverse traditions et principes moraux. Peut-être qu’Ubud ne deviendra jamais un deuxième Pattaya, grâce à la vigilance du Cokorda. Mais Kuta y ressemble déjà singulièrement !

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