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A QUOI JOUENT L’ARMEE INDONESIENNE ET SON CHEF ?

Début janvier, les médias indonésiens et australiens se sont fait l’écho de la fin de la coopération militaire entre les deux pays. Une décision prise unilatéralement par le chef de l’armée indonésienne. Celui-ci s’est aussi ouvert à plusieurs reprises dernièrement sur des menaces extérieures. Avec quelles arrière-pensées ?

L’annonce a surpris tout le monde, le président Jokowi compris. Début janvier, l’ultra nationaliste chef de l’armée indonésienne Gatot Nurmantyo annonçait la suspension de la coopération militaire entre les deux pays. En cause : la découverte dans un camp militaire de Perth où les forces spéciales indonésiennes (Kopassus) s’entrainent avec l’armée australienne de matériel d’enseignement jugé insultant à l’égard de l’Archipel. Les éléments trouvés incluent un rapport sur l’indépendance de la Papua indonésienne, un sujet tabou en Indonésie, et un poster sur lequel était inscrit la mention « Pancagila ». Ce dernier fut considéré comme l’offense principale. Il ridiculise l’idéologie étatique de « Pancasila », suggérant que ses cinq principes de croyance en un seul dieu, d’une humanité juste et civilisée, de l’unité de l’Indonésie, de démocratie et de justice sociale sont « fous ».

Pendant deux jours, personne n’a démenti la suspension totale de la coopération militaire entre l’Australie et l’Indonésie. Jusqu’à ce que le ministre de la Sécurité Wiranto explique que celle-ci n’affecte en réalité qu’un programme de formation linguistique. Il semblerait d’ailleurs que jamais Gatot Nurmantyo n’ait véritablement envisagé une fin totale de cette coopération. Difficile dès lors de comprendre pourquoi l’armée indonésienne n’a pas démenti cette information quand elle est apparue dès le départ dans les médias indonésiens.

national-gatot-Nurmantyo-2Le président Jokowi lui-même aurait appris cette décision unilatérale par les médias, un acte surprenant considérant l’importance et la sensibilité des liens unissant les deux géants voisins. Il a ainsi, sans le sanctionner, rencontré le chef de l’armée pour quelques explications. Le dossier est délicat pour Jokowi. Premier président non issu des rangs de l’armée ou de l’élite politique indonésienne, celui-ci a toujours cherché à avoir les faveurs de l’armée afin de consolider son pouvoir. Il se devait néanmoins de réagir promptement à cette polémique afin de conserver son autorité de Commandant en chef et de ne pas laisser la situation créée par Gatot Nurmantyo hors de contrôle. Il a d’ailleurs confirmé vouloir se rendre en Australie au cours du premier trimestre de cette année.

Discours ultra nationaliste et culture du complot

Ce n’est pas la première fois que le chef de l’armée indonésienne utilise des sorties médiatiques surprenantes ces derniers mois. A plusieurs reprises, il a récemment mis en garde contre des guerres par procuration qui menaceraient l’Archipel. Ces guerres impliqueraient des états étrangers cherchant à ébranler le pays en manipulant des acteurs non étatiques. Dans l’une d’entre elles, il accusait déjà l’armée australienne d’essayer de recruter des soldats indonésiens, envoyés en formation, en tant qu’espions ou agents d’influence. L’armée australienne a démenti. Dans une autre, il questionnait la rotation de soldats américains à Darwin, soulignant la proximité de la ville australienne avec la Papua et le grand gisement indonésien de gaz de Masela.

Dans un autre discours, Gatot Nurmantyo a prédit qu’une pénurie alimentaire en Chine pourrait provoquer une arrivée massive de réfugiés, expliquant même qu’il allait tuer dix vaches et les jeter à la mer afin d’attirer les requins qui ainsi mangeraient les éventuels refugiés chinois…

Dans un petit ouvrage publié en 2015, il insinuait que des pouvoirs étrangers essayaient d’infiltrer les médias indonésiens, son système éducatif, ses organisations islamiques, ses entreprises et ses partis politiques afin d’affaiblir la nation et de prendre le contrôle de son appareil sécuritaire et de ses industries stratégiques. D’après lui, les pouvoirs étrangers tentent également d’affaiblir la jeunesse indonésienne en trafiquant de la drogue et en favorisant une culture permissive.

Ce discours et cette culture du complot correspondent à la position ultra nationaliste du chef de l’armée et a toujours l’oreille attentive des non moins nationalistes Indonésiens. Il est toujours facile, efficace et vendeur en Indonésie de blâmer les étrangers pour les maux affectant le pays.

Consolider le rôle de l’armée dans les affaires intérieures
Mais de nombreux observateurs et médias, notamment étrangers, pensent que ces différentes sorties et décisions radicales recouvrent en réalité des considérations toutes intérieures à l’Archipel. Gatot Nurmantyo aurait des ambitions politiques personnelles qui justifieraient ses récentes percées médiatiques flattant les cordes sensibles de l’électorat, nationaliste par définition. En Indonésie, cet agenda a évidemment été démenti.

Une autre raison pour ces récents agissements serait la volonté de trouver un soutien politique plus large pour pourvoir consolider un rôle accru de l’armée dans les affaires intérieures. Face à ces menaces extérieures, à cette guerre par procuration qui serait la cause des fléaux affectant l’Archipel tels que le terrorisme, la drogue et même l’homosexualité, la solution implicite est que seule l’armée pourrait résoudre ces problèmes.

L’armée indonésienne a une longue histoire d’intervention dans les affaires civiles depuis l’indépendance du pays en 1945. Cette implication profonde fut mise en sourdine après la chute de Suharto en 1998. Mais ces dernières années, notamment depuis l’arrivée de Jokowi aux commandes, les soldats sont de nouveau mis à contribution pour des objectifs non militaires. Dans le secteur de l’agriculture, ou 40% de la population active est concentrée, l’armée est désormais responsable de la distribution des engrais et de la vérification des objectifs de production. Les soldats aident également pour les récoltes et pour la construction d’infrastructures rurales.

S’il est difficile de savoir si les relations bilatérales entre l’Indonésie et l’Australie souffriront des prises de position récentes de Gatot Nurmantyo, il semble en revanche probable que le rôle de l’armée dans les affaires intérieures indonésiennes s’accentue dans les deux dernières années du mandat présidentiel actuel. En ayant, depuis son intronisation, cherché son nécessaire soutien, le président Jokowi n’a certainement d’autre choix aujourd’hui que de contenter son armée en retour.

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