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Une Saraswati de lointaine origine

« La beauté de Bali est dans les yeux de celui qui regarde », affirme cette femme à la silhouette élégante qui parle d’une voix douce et calme depuis le début de l’interview. Bali, elle connaît. C’est sa vie depuis l’année 1973 et son premier séjour qui s’inscrivait dans le cadre de ces tours du monde post-études dont les Anglo-saxons raffolent. Arrivée de Sydney en bateau, elle voyagera bien dans quelques pays limitrophes mais reviendra vite à Bali où, dit-elle, elle se sent tout de suite « à la maison ». Avec une formation universitaire en physique-chimie, rien ne la destinait aux arts. Mais c’est avec émerveillement qu’elle découvre leur richesse en Indonésie. Le batik tout d’abord, à Jogjakarta, puis à Ubud, la peinture avec Madra, un disciple du célèbre Lempad. Elle rencontre ensuite un jeune Balinais qui deviendra son mari et avec qui elle aura trois enfants. Elle vit au sein de sa belle famille, s’épanouit au sein de la communauté familiale. « Je me suis tout de suite sentie bien grâce à l’attention que l’on reçoit ici », confie Sarita.

Toutefois, comme on dit en anglais, « la réalité mord » et les problèmes matériels ne manquent pas de survenir. Loin de se consacrer aux arts, Sarita Newson court les petits boulots car il y a des bouches à nourrir à la maison. Elle travaille dans les bureaux de diverses compagnies aériennes et aussi pour le golf de Bedugul. En 1978, elle a l’opportunité de créer pour le Bali Post une édition spéciale du dimanche de 8 pages tout en anglais. C’est l’époque où l’Indonésie mise sur le tourisme « qui devait sauver Bali, comme on disait alors », se souvient Sarita. Rédactrice, traductrice, éditrice, correctrice, elle donnera tout ce qu’elle sait pendant deux ans avant que le photographe indonésien Rio Helmi (cf. La Gazette de Bali n° 10 – octobre 2005) ne lui succède. Elle écrira aussi le premier guide touristique officiel sur Bali, commandé par le gouvernement, et démarrera ensuite la société de design et graphisme, Mata Graphic Design. Celle-ci deviendra Taksu et enfin, en 1987, Saritaksu, la maison d’édition que l’on connaît actuellement.

« Le graphisme était un business lucratif car il n’y avait quasiment personne sur le marché et le tourisme était en plein boum », se souvient Sarita. C’est par ce biais qu’elle peut enfin démarrer ce qui lui tient à cœur : la publication de livres d’art. Une expo de poterie à Lombok va lui en donner l’occasion avec la publication de son premier ouvrage, « Vessels of Life », sur les potiers Sasak, signé Jean McKinnon. S’en suivra une longue liste de ce qu’on appelle des « beaux livres » dans le language des bouquinistes, dont le fameux « Bali, Sacred and Secret » de l’aventurière Gill Marais (cf. La Gazette de Bali n°16 – septembre 2006), véritable succès d’édition. Un film est en cours de tournage sur les aspects de Bali évoqués dans ce livre. « Gill est sur place avec le réalisateur allemand, c’est une production malaisienne », explique Sarita. « On aimerait aider à la préservation de l’art et de la culture dans toute l’Indonésie, on est utiles pour les gens eux-mêmes, pour leur amour-propre », commente Sarita. A noter aussi, un remarquable et unique ouvrage compilatoire des œuvres du célèbre peintre Abdul Aziz, rédigé par sa veuve. Et en projet pour cette année, un livre de photographies en noir et blanc, résultat de plusieurs années de travail du photojournaliste John Stanmeyer sur Bali (cf. La Gazette de Bali n°15 – août 2006). Ses livres sont distribués dans de nombreux pays en dehors de l’Indonésie : Malaisie, Singapour, Etats-Unis, Nouvelle Zélande, Australie et France par le biais du musée Guimet et du musée du quai Branly.

Egalement investi dans le social, Saritaksu est associé à des initiatives comme « Clean Up Bali », « East Bali Poverty Project », l’association Senyum, pour les enfants nécessitant une cranioplastie et l’association Yakkum Bali qui fabrique des prothèses orthopédiques. Aujourd’hui reconnue et respectée, Sarita va arrêter le graphisme commercial et se consacrer seulement à trois ou quatre projets par an, livres ou films, et écrire un roman sur son expérience en Indonésie. Elle le dit clairement, elle n’a plus besoin de travailler pour gagner sa vie, résultat de judicieux investissements fonciers dans ce Bali en plein essor économique. Tourisme, développement économique, « cela a tout changé ici », rappelle cette néo-zélandaise arrivée à une époque où « il n’y avait pas l’électricité partout comme maintenant ». Si elle déplore leurs effets sur les Balinais, Sarita tempère cependant : « Si Bali devient multiple, les Balinais eux, ne changent pas ». Puis elle ajoute admirative : « ils font beaucoup de sacrifices pour rester eux-mêmes, cela leur coûte beaucoup de temps et d’argent ».

Maintenant divorcée, ses trois enfants élevés, Sarita veut investir des champs plus personnels, comme l’écriture de fiction. Fini le temps où, par exemple, elle gérait quasiment seule la publication du magasine de BIWA (Bali International Women Association). Même ce festival du film qu’elle vient de créer ne doit pas l’accaparer au-delà du raisonnable. « D’ailleurs, dans les années à venir, je souhaite ne faire que la conseillère », précise-t-elle. Un peu comme la déesse hindoue des arts et des lettres, l’auguste Saraswati que les Balinais célèbrent tous les ans, Sarita Newson veille sur la culture de l’Indonésie, sans doute en hommage à ce pays qui l’a adoptée et qu’elle aime profondément.

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