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SOUDAINEMENT, L’INDONESIE CRIE HARO SUR LES HOMOS

Il est facile de relier la vague anti-homo qui sévit actuellement en Indonésie à deux affaires de moeurs qui ont fait la Une ces derniers temps. Deux célébrités locales, les chanteurs Indra Bekti et Saipul Jamil, ont fait l’objet d’enquêtes policières pour des accusations d’attouchements homosexuels forcés. Les deux affaires n’ont aucun lien entre elles mais chacune des stars a été, à quelques semaines d’intervalle, la cible de plusieurs plaintes pour ce type de violences. L’une a été arrêtée, celle dont le cas principal est lié à un mineur de 17 ans, l’autre pas, car les preuves ont été jugées pour l’instant insuffisantes On ne sait pas vraiment s’il y a eu viol (perkosaan), tant le mot indonésien habituellement utilisé (pencabulan) est imprécis, et que ceux qui l’utilisent sont gênés d’avoir à en parler, se réfugiant ainsi derrière des formules toutes faites et socialement normées pour ne choquer personne. L’opinion publique ne sait donc pas très bien ce qui s’est passé dans ces affaires mais elle a compris, et c’est là l’essentiel, que ces deux stars de la télé, se seraient livrées à des actes « contre-nature » sur d’innocentes victimes.

Indra Bekti est marié et père de famille. Saipul Jamil a été marié deux fois. Il n’est toutefois pas nécessaire d’être un grand spécialiste du comportement pour comprendre, en observant leur langage corporel sur le petit écran, où se situe leur préférence sexuelle… Reste qu’en Indonésie, on ne fait pas son coming out, de peur de la colère populaire et aussi de perdre ses admirateurs. Et donc ses privilèges de personnage public. Alors, on fait semblant, on se marie, on expose son conformisme bon teint dans les tabloïds et à la télé, on fait son pèlerinage à La Mecque et on fait même des enfants comme c’est le cas pour certains. Dans une sorte d’hallucination typique ici, l’inconscient collectif indonésien fonctionnant à plein rendement, tout le monde fait semblant de croire à l’improbable. Jusqu’au jour où le vernis craque… car, c’est bien connu, le naturel revient toujours au galop.

Interdiction des emojis gays

Une fièvre « Indonesia darurat LGBT », qu’on pourrait traduire par « L’Indonésie est sous l’urgence du problème homo », s’est emparée du pays en parallèle à ces deux affaires de stars très médiatisées. Les Indonésiens sont très intolérants envers l’homosexualité, 93% d’entre eux jugent même qu’il s’agit d’une inclinaison inacceptable, plaçant l’Indonésie dans la dernière enquête du Pew Research Center parmi les pires endroits au monde sur cette question, derrière d’autres pays musulmans comme la Malaisie ou le Pakistan (cf. La Gazette de Bali n° 98 – juillet 2013). En janvier dernier, le ministre des Hautes Etudes Muhammad Nasir a affirmé qu’il fallait bannir les homos, bisexuels et transgenres des campus du pays, avant que le gouvernement demande officiellement d’interdire aux messageries en ligne Line et WhatsApp de supprimer leurs emojis gays sous peine de se voir interdire d’opérer dans l’Archipel.

Contrairement aux idées reçues sur la supposée tolérance du pays, à la fois socialement et historiquement, l’Indonésie est donc loin d’être gay-friendly aujourd’hui, même sur une échelle de valeur uniquement musulmane. L’avènement de la démocratie depuis la fin de la dictature s’est accompagné d’un voile sans précédent de puritanisme, qui enveloppe de plus en plus étroitement les moeurs du pays. Que dire de ce troisième sexe des bissu de la communauté Bugis de Célèbes (cf. La Gazette de Bali n°58 – mars 2010 et n°98 – juillet 2013) ou encore de la tradition pédéraste du Warok et de son Gemblak à Java-Est ? Des fragments du passé du pays à oublier, à proscrire comme ses photos de Balinaises aux seins nus supprimées sur Facebook pour le grief de « contenu licencieux heurtant la sensibilité culturelle » de plaignants… également indonésiens. La même raison invoquée également par le porte-parole du ministère de l’Information au sujet de l’interdiction des emojis gays, qui pouvaient en outre causer de l’« agitation» dans le pays.

En cause, les subventions des Nations Unies

Ce haro sur les homos a bien évidemment été largement soutenu par les organisations et institutions musulmanes, au premier rang desquelles le Conseil des Oulémas indonésiens qui s’est empressé de préparer une fatwa contre « la propagande homosexuelle ». Ma’Ruf Amin, le président de ce conseil s’est expliqué ainsi : « Nous souhaitons que les musulmans fassent attention avec ces activités LGBT. Ce n’est pas dirigé contre les gens eux-mêmes, mais cela a plutôt à voir avec leur mouvement. » Comprendre ainsi, entre les lignes, qu’il ne peut pas y avoir en Indonésie des centaines de milliers de dollars d’aide versés par les Nations Unies pour la promotion des droits des homosexuels sous prétexte de soutien à la démocratie et aux Droits de l’Homme… Un autre exemple d’achoppement entre les valeurs occidentales et celles du Moyen Orient dans l’Archipel au moment où l’envoyé spécial des Nations Unis pour les droits LGBT, Randy Berry, est venu rencontrer des membres du gouvernement et de la société civile.

Si dans ce climat délétère, on ne peut que rire de la remarque grotesque du maire de Tangerang Arief R Wismansyah selon laquelle « les enfants que l’on nourrit de lait en poudre et de nouilles instantanées risquent de devenir homos », on rit moins devant celle du ministre de la Défense Ryamizard Ryacudu qui affirme que « le danger LGBT est plus grand que celui de la guerre nucléaire ». Et encore moins quand il explique en détail pourquoi il y voit une sorte de complot : « Le mouvement LGBT est dangereux car on ne voit plus qui sont nos ennemis, en effet, d’un seul coup, tout le monde est dans la norme, et maintenant la communauté LGBT demande plus de liberté, c’est vraiment une menace. » Et on ne rit plus du tout lorsque l’Association indonésienne des psychiatres (PDSKJI) classifie officiellement l’homosexualité et la transsexualité comme des « désordres mentaux ».

Explication de la porte-parole de la haute autorité psychiatrique du pays, Suzy Yusna Dewi : « Nous nous soucions vraiment d’eux. Ce qui nous préoccupe c’est que, si c’est laissé sans traitement, de telles tendances sexuelles pourraient devenir une affection communément acceptée dans la société. Nous devons respecter les traditions indonésiennes qui, culturellement, n’acceptent pas le mariage entre personnes de même sexe, et nous ne devrions pas nous plier aux influences des valeurs étrangères qui ne correspondent pas aux nôtres. » Une question vient immédiatement à l’esprit : la psychiatrie indonésienne a-t-elle quitté le champ médical du désordre mental pour celui plus politique de l’ordre moral ? Rappelons que dans la province indonésienne d’Aceh, qui applique la loi islamique, les homosexuels sont envoyés en réhab’ après avoir été fouettés en public. Les fous de dieu et les psychiatres indonésiens partagent donc la même conviction : l’homosexualité est une maladie, mais ça se soigne…

Un code du comportement à la télé

Bien évidemment, la censure s’est également mise au travail. Myriades de sites Internet gays et lesbiens sont désormais inaccessibles d’Indonésie et la fameuse Commission de censure de la télé (KPI) vient d’édicter un code très précis visant à supprimer toute promotion des comportements homos dans les programmes, où justement de nombreux artis évidemment gays, sans toutefois le reconnaître, sévissent. Y sont désormais interdits les hommes habillés ou maquillés en femmes, les hommes adoptant des attitudes féminines dans leur façon de marcher, de s’assoir, de bouger leurs mains, les hommes parlant comme des femmes, il y est interdit de faire la promotion des comportements efféminés, de représenter un homme saluant une femme comme les femmes le font entre elles, d’utiliser le jargon habituellement dévolu aux hommes efféminés. Le tout en rapport avec les normes de décence et de morale en vigueur dans le pays, afin de protéger les enfants et les adolescents, précise la KPI, qui vient par ailleurs de flouter outrageusement les cuisses et les décolletés des candidates de Miss Indonesia dans la retransmission du dernier concours.

Officiellement, l’Indonésie n’a pas l’arsenal législatif pour condamner pénalement l’homosexualité. Ce n’est donc pas un délit. Cela pourrait néanmoins changer bientôt. Surtout si l’on suit l’opinion émise par Tifatul Sembiring, cet ancien ministre de l’Information très conservateur, qui a émis récemment sur son compte Twitter le désir de voir les homosexuels « mis à mort ». L’Indonésie n’en est pas encore là mais les députés vont néanmoins plancher sur les moyens d’interdire toute promotion de l’homosexualité, notamment après que plusieurs organisations musulmanes modérées aient déclaré que « les activités LGBT devaient être interdites et catégorisées comme des crimes. » La cause est nationale et allie désormais majorité et opposition, comme le rappelle Deding Ishak du Golkar : « Le but est de prévenir et de protéger la société de la propagande massive lancée par la communauté LGBT. Cette campagne est dans les médias sociaux. Nous avons besoin d’une solution pour lutter contre cette situation. C’est comme un signal d’alerte pour nous tous. »

Impossible de ne pas penser aux récentes « affaires » de pseudo mariages gays à Bali et à Java où, paradoxalement, l’émoi a été moins grand du côté musulman que du côté hindou. Le pays se retrouve une fois de plus coincé entre les deux pôles antagonistes qui le constitue, l’Orient et l’islam d’un côté, l’Occident et la démocratie de l’autre. Ce faisant, il est certain qu’il se perd lui-même et oublie peu à peu son identité véritable, celle de la diversité de son passé nusantara. En tout cas, signe des temps inquiétant, la fameuse mosquée et école coranique al Fatah de Jogjakarta (cf. La Gazette de Bali n°62 – juillet 2010) vient d’être fermée manu militari. Ce lieu de culte fréquenté par des homosexuels et des transgenres a été bouclé par la police à la demande du voisinage qui se plaignait des nuisances, a-t-on précisé. Les fidèles se réunissent désormais clandestinement dans un autre endroit tenu secret. Le destin chaotique de cette mosquée non autorisée est connu du monde entier grâce aux agences de presse qui ont relayé des infos sur son existence sans faillir depuis des années. Véritable marronnier de la presse occidentale, la mosquée transgenre al Fatah ressurgissaient à intervalles réguliers sur les fils d’info à chaque fois que l’image tolérante de l’Indonésie musulmane était mise à mal sur la scène internationale. Cette mosquée, au demeurant bien réelle, n’était-elle qu’un outil de com pour contrebalancer la réalité quand cela était nécessaire ? Cela est bien inquiétant pour la minorité homo et transgenre aujourd’hui car elle a vécu. En sera-t-il de même bientôt de la fameuse tolérance séculaire de l’Archipel ?

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