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Sans baton ni carotte

Le mois dernier, mon assistante étant absente, une collègue particulièrement douce et sensible la remplace au pied levé. Je connais assez bien mes élèves pour savoir exactement lesquels vont tester ce nouvel adulte, et la petite Lola, 4 ans, est en tête de liste. Lola a décidé d’enfiler des perles. Elle est très concentrée et fait un beau collier qu’elle vient me montrer. Je lui demande si elle veut le porter et elle refuse. A ce stade, vu que nous sommes presque à la fin de l’année scolaire, Lola sait parfaitement qu’elle doit ranger son plateau. Mais Lola déteste ranger. Après quelque temps, ma nouvelle assistante vient me glisser à l’oreille que Lola lui a expliqué qu’elle ne voulait pas défaire son collier et qu’elle pouvait donc laisser son matériel sur la table. Je ne peux m’empêcher de sourire : nous y voilà, le test ! Je décide de ne pas intervenir et conseille à l’adulte d’aller expliquer à Lola qu’elle doit ranger pour que ses copains puissent enfiler des perles à leur tour s’ils en ont envie. Après moult tergiversations qui essoufflent l’assistante mais ne lui ôtent pas son doux sourire si balinais, je vois du coin de l’œil que – victoire ! – Lola a tout remis sur l’étagère.
Après ma classe, alors que je remets en ordre les étagères, je découvre le collier de Lola, encore tout enfilé, posé sur la boite de perles. Je décide de ne pas le ranger moi-même. S’il est une règle que tout éducateur apprend très vite, c’est que quand il demande quelque chose à un enfant, il doit s’y tenir, et que la chose demandée doit être faite. Je déroule donc un petit tapis, y pose joliment la boite de perles, le collier et le carton sur lequel est écrit le prénom de Lola. Le lendemain matin, à son arrivée, je lui dis avec un grand sourire : « Regarde ce que j’ai trouvé sur l’étagère hier, ton joli collier. Tu avais oublié de le ranger, je te l’ai donc posé sur la table afin que tu puisses le ranger aujourd’hui. » Et Lola a défait et rangé son collier tranquillement.
Il semble toujours plus aisé à l’adulte en charge d’entrer dans un rapport de force et d’imposer ainsi à l’enfant les règles édictées par notre société. Tous les moyens sont bons, la colère, l’exclusion, la privation, l’humiliation, voire la fessée… et le pendant opposé, la sacro-sainte carotte, les jugements positifs comme récompense qui nous assurent à coup sûr l’adhésion du plus récalcitrant. Généralement, les parents appliquent ce schéma en référence à la norme, croyant en toute bonne foi bien faire afin d’apprendre à leur enfant la bonne façon de se comporter et de s’adapter à la société à laquelle il appartient. Ce n’est que lorsque les résultats négatifs sont criants qu’ils se posent les bonnes questions. Certains enfants réagissent violemment à ce système éducatif qui entame tellement leur estime de soi qu’ils finissent par se dévaluer, se détester, se punir eux-mêmes ou s’opposer violemment à l’adulte.
Les enfants ont certes besoin d’un cadre clair et précis, de règles bien définies, mais notre rôle est de les aider à les intégrer et à les comprendre, certainement pas de les leur imposer par un système qui leur enseigne au mieux la peur, la honte, la tristesse, l’évitement, l’injustice et la soumission, au pire le désir de vengeance. Cette loi du plus fort ne devrait avoir sa place que dans le règne animal. Il existe des moyens de favoriser le dépassement de soi positif et constructif, l’autodiscipline et la responsabilité. L’adulte doit être porteur des valeurs qu’il veut transmettre, l’enfant fait toujours ce que nous faisons, pas ce que nous disons. En cas de non-cohérence, « je te donne une fessée parce que tu as frappé ton petit frère », l’enfant ne retiendra que la fessée et qu’il faut frapper l’autre si l’on veut être écouté.
Tout enfant souhaite comprendre son monde et y trouver sa place. Il est donc important de toujours lui expliquer patiemment chaque situation, les conséquences de son comportement, les bonnes manières et l’attitude à adopter. Lui expliquer par exemple que s’il frappe tous ses copains, plus personne ne voudra jouer avec lui (conséquence), qu’il ne doit pas frapper mais utiliser ses mots (bonne attitude à adopter). Il est parfois préférable que l’enfant puisse découvrir et assumer les conséquences de ses actes par lui-même. S’il casse un de ses jouets volontairement par exemple, il faut éviter de le remplacer par un neuf. Par ailleurs, il est toujours très positif de donner à l’enfant les moyens de réparer sa « faute ». Si un enfant renverse son verre, lui donner une éponge et une bassine pour éponger, s’il a peint sur un mur, lui donner une éponge pour nettoyer ou, pourquoi pas, repeindre le mur ensemble. Il est également important d’observer l’enfant qui agit de manière non appropriée afin de détecter la raison de son attitude. Il faut être attentif à ses besoins parce que la bêtise peut être le résultat de la faim, la soif, le sommeil, ou simplement la recherche d’attention.
Enfin, face à une situation particulièrement difficile, il faut savoir temporiser plutôt que de rentrer dans un rapport de force. On peut proposer à un enfant qui ne veut pas ranger de l’aider, ou comme pour Lola, de ranger plus tard. Si l’enfant s’obstine et qu’on sent que l’on va perdre patience, on peut passer le relai à un autre adulte. Si on aide l’enfant à réfléchir à ce qu’il a fait et à ce qu’il pourrait faire pour réparer, il peut réaliser les conséquences de son comportement inacceptable et décider par lui-même de le remplacer par un comportement plus adapté.

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