Dans les années 2000, les rares études sur l’exploitation intensive de la nappe phréatique de Bali voyaient les premiers problèmes de pénurie d’eau douce survenir à l’orée 2015 si rien n’était fait. Comme rien n’a été fait et que nous sommes désormais à la date fatidique, penchons- nous sur ce dossier avec Florence Cattin, spécialiste en assainissement écologique, qui est ici cofondatrice d’un ambitieux programme baptisé Bali Water Protection (BWP), sous la tutelle de la fondation IDEP et en coopération avec l’école polytechnique de Bali (PNB) qui a réuni les données préparatoires. S’inspirant d’un système de puits de remplissage par les eaux de pluie déjà éprouvé en Inde, le programme BWP propose donc une solution peu onéreuse et relativement facile à réaliser pour contrer l’assèchement de Bali. Avec elle, état des lieux et solution…
Que cela soit bien clair, cette initiative est le fait d’une ONG et n’implique pas les pouvoirs publics pour l’instant. Ces derniers semblent d’ailleurs toujours peu préoccupés par la surexploitation de la nappe phréatique de Bali et se sont surtout manifestés pour mettre en place un système de taxation de l’hôtellerie, puis aussi éventuellement des particuliers lorsque ceux-ci pompent directement la nappe pour leurs besoins domestiques. Un projet bancal, réalisé à moitié et partiellement abandonné depuis. Rappelons encore que la solution n’est pas dans l’utilisation de l’eau de la ville (PDAM), non pas parce que le réseau de distribution est largement inadéquat, mais surtout parce que cette entreprise publique pompe également directement dans la nappe et ne traite même pas les eaux usées ! Alors, que restent-ils comme solution lorsqu’on veut bien faire et éviter cette catastrophe annoncée ? La Française Florence Cattin, qui a travaillé sur l’île de 2011 à 2013 sur des projets d’assainissement, s’est effectivement interrogée. L’eau des puits est à quel niveau aujourd’hui ? Combien les paysans font-ils de récoltes désormais ? Que fait-on ailleurs dans le monde ?
« En Inde, depuis 20-25 ans, mais surtout ces 10 dernières années, ils utilisent des puits de remplissage par gravité munis de filtres. Dès la première saison des pluies qui a suivi leur installation, ils ont constaté que cela était efficace. Aujourd’hui, toutes les zones ayant utilisé ces techniques ont à nouveau accès à l’eau et ont vu leurs nappes phréatiques remonter très rapidement, la technique est si efficace que le retour d’eau de pluie par ces moyens est même rendu obligatoire par la loi », explique cette technicienne qui a travaillé sur les cycles de l’eau avec l’équipe du fameux projet Biosphère, lancé en Arizona au début des années 90. Mais quelle est la gravité du problème en 2015 ? L’école polytechnique a réalisé un travail de compilation des données très précis qui fait état d’une baisse alarmante de l’eau douce, sources, bassins et nappes, avec intrusion de l’eau de mer sur les côtes, parfois jusqu’à 1km à l’intérieur des terres comme c’est le cas vers Sanur. Le niveau de la nappe a baissé de 50m dans certaines zones en moins de 10 ans. Le lac Buyan, le plus gros réservoir d’eau fraîche de l’île a vu son niveau descendre de 5m (donnée 2012). 60% des bassins et retenues de Bali sont à sec et la pollution des sols est à un niveau alarmant. Le lac Batur est également extrêmement pollué en pesticides et fertilisants à cause des plantations qui le bordent.
L’emblématique rivière Ayung, qui sculpte une vallée majestueuse près d’Ubud et que les amateurs de rafting descendent en nombre chaque année, a vu sa classification sanitaire descendre en 2011 de « utilisable pour les sports nautiques » à « utilisable pour l’agriculture ». On note au passage que ce curieux classement positionne la santé des touristes pataugeurs avant l’hygiène alimentaire de l’île… Curieux en effet, surtout que l’on sait déjà depuis les années 80 que l’utilisation intensive des produits chimiques dans l’agriculture de Bali est la cause d’une contamination majeure des paysans en cholinestérase. Un paysan sur cinq à Bali aura à souffrir d’une des maladies qui découlent de cet enzyme issue des polluants. Une autre rivière sacrée de Bali, la Pakerisan, dont les eaux irriguent les temples de Tirta Empul et Tirta Dukun, a vu sa classification également dégradée au même niveau que l’Ayung. L’hindouisme balinais aurait-il oublié qu’il est la « religion de l’eau » à l’aune du développement frénétique de l’île ? Aujourd’hui, aucune des 162 rivières de Bali qui se déversent dans l’océan n’a un indice de pollution sans danger pour la santé.
Des puits simples à construire et à entretenir
La pollution par les eaux usées est également une préoccupation de premier ordre. Quand la cause n’est pas le rejet direct des eaux sales n’importe où, on sait que la plupart des fosses sceptiques, pourtant obligatoires dans l’obtention d’un permis de construire, sont notoirement mal conçues et fuient. A Denpasar, on constate la prévalence de la bactérie E-coli dans la majorité des traitements pour diarrhée des personnes hospitalisées. Les 20 dernières années ont vu à Bali, comme dans le reste du monde, note le rapport de BWP, un accroissement démographique sans précédent, à la fois de la population locale et par l’immigration. Auxquels on rajoute à Bali les touristes indonésiens et étrangers qui doublent la population et on constate ce que beaucoup font semblant de ne pas voir par cupidité et ignorance : l’île est définitivement dans la zone rouge en terme d’exploitation de ses ressources d’eau douce ! Heureusement, Bali a un atout de taille… La mousson inonde l’île tous les ans en eau de pluie en quantité largement suffisante pour ses besoins. A condition de savoir la récupérer correctement et alimenter la nappe.
Avec les puits du programme initié par Florence Cattin, pas besoin d’investissement lourd, de solutions techniques compliquées à installer ou à entretenir, ni d’énergie pour les faire fonctionner. Bali n’a pas seulement la saison des pluies pour lui venir en aide, mais aussi une topographie idéale avec ses montagnes au centre qui permet d’acheminer l’eau où l’on veut par simple gravité. Un puits avec un diamètre de 50cm est déjà suffisant pour un remplissage de la nappe localement, pour une maison particulière par exemple. Placés avec soin, dans les zones stratégiques, ils pourront également permettre d’éviter les inondations. « Il suffit de mettre par exemple des puits sur le chemin des caniveaux qui s’engorgent », explique Florence Cattin. La profondeur ? « Cela dépend. A Bali, au moins profond, il suffira de creuser à 6m seulement. Ailleurs, il faudra descendre à plus 100m, en montagne par exemple », répond-elle.
Pas de budget du gouvernement local
Les filtres ne vont-ils pas ralentir l’écoulement ? A peine, affirme-t-elle. Ces filtres simples faits avec du sable et différentes sortes de gravier ont pour but d’éliminer les matières solides et seront disposés à l’extérieur des puits pour un entretien facile. Un nettoyage par an suffit selon la nature des écoulement et zones de récupération. « C’est une technologie adaptée au contexte local », continue-t-elle prosaïquement. Le programme BWP prévoit la formation d’une dizaine de personnes à la construction et à la supervision de ces puits et le premier doit être percé sous peu à Singapadu par la directrice de l’épicerie bio Bali Buda, Brenda Ritchmond, qui est d’ailleurs pour l’instant la principale donatrice de ce projet avec une autre entreprise également d’origine étrangère : Mala Spirit. Car si le gouvernement local a exprimé son intérêt pour le programme Bali Water Protection, il n’a pour l’instant aucun budget à allouer …
Les études techniques en cours par PNB portent sur les puits eux-mêmes afin de les adapter au mieux à la situation balinaise. 3 à 4 modèles différents seront retenus, jusqu’à un mètre de large, tous avec le filtre à l’extérieur, contrairement à la plupart des modèles indiens dont ils sont inspirés. Leur programme prévoit également un manuel pratique d’installation des puits ainsi qu’une campagne de sensibilisation à destination des habitants de l’île qui passera par les écoles, la presse et la télé avec au cœur la protection de l’environnement et la préservation des points d’eau et des rivières qui sont pour l’instant pollués par les ordures. Des thèmes déjà abordés abondamment depuis des années par ces mêmes médias, sans grand succès jusqu’à présent faut-il admettre… Reste que ces équipes seront définitivement utiles pour la promotion des puits auprès de la population et la recharge des nappes phréatiques de la province.
3 millions de roupies maxi pour un puits
Le programme BWP a par ailleurs déjà cerné les régions stratégiques qu’il faut réalimenter en eau douce rapidement. Elles sont au nombre de 9 sur l’île principale et de 4 sur les îles satellites. La première estimation fait état de 134 puits à creuser. L’école polytechnique va en percer 4 qui serviront de démonstration, l’IDEP 1. « Notre but, c’est bien évidemment d’attirer les pouvoirs publics tôt ou tard. Mais plutôt que de les courtiser, nous avons décidé de passer à l’action car il y a urgence, l’eau de mer dans la nappe phréatique est l’une des rares situations écologiques à jamais irréversible », continue la Française. Ces puits qui ne rapportent rien sont-ils un atout à faire valoir auprès des autorités ? D’autant que les entreprises de désalinisation d’eau de mer ont déjà montré le bout de leur nez à Bali… « C’est le gros dossier », répond-elle laconiquement. En attendant, pas question de perdre du temps car il faut réunir les fonds.
« Notre premier objectif est de réunir 63 000 dollars (ou 724 millions de roupies) sur les 873 000 dollars au total dont nous avons besoin pour mener ce programme à bien. Avec cette somme initiale, nous pouvons lancer la première phase qui s’étalera par la suite sur pratiquement deux ans », poursuit Florence Cattin. Le but ultime de ce programme ambitieux, peu coûteux au final et qui donne aux gens les moyens de se responsabiliser sur des questions qui les touchent au quotidien, c’est non seulement d’implanter les premières unités dans la province de Bali avec un coût éventuel de 3 millions de roupies maximum par puits mais de faire adopter cette technique par les autorités comme le moyen le plus sûr de garantir la flexibilité de Bali en matière d’eau douce. Le programme BWP a déjà été présenté au Rotary Club et à nombre de business locaux. « On espère qu’il n’y aura pas plus de 30 à 40% du budget qui soit de provenance étrangère », ajoute-t-elle encore avant de conclure avec détermination : « C’est la méthode la moins chère et la plus rapide pour remplir la nappe phréatique de Bali. »
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