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L’ORIGINE DU LANGAGE

À l’origine du monde, sur la terre, dans la mer et dans le ciel, il n’y avait aucun son. L’île de Bali était plongée dans un profond silence, et les êtres vivaient comme des ombres fugaces. Or un jour, une plante étrange sortit de la terre : au lieu de donner des fruits et des fleurs, elle produisait des notes de musique. Les oiseaux furent les premiers attirés par cet arbre ; ils mangèrent les plus beaux fruits, les plus colorés, ceux qui avaient pu profiter de la lumière du soleil. Ils se mirent alors à émettre des chants magnifiques, ce qui intrigua d’autres animaux : le buffle dévora des notes fortes en goût, le chat croqua des notes délicates, et le grillon se régala de notes subtiles. Bali se couvrit d’un doux brouhaha, où il n’était plus possible de faire silence. Quel vacarme ! Se dit le crapaud. Il plongea alors dans les profondeurs du monde, et chercha les racines de la plante aux mille sons qui naissaient dans l’obscurité de la mer. Les ayant dévorées avec avidité, il s’attendit à avoir la plus belle voix de tous les animaux. Cependant, il ne put faire qu’un bruit épouvantable, car il avait avalé trop de notes « croa, croa ». Mais ne nous désolons pas trop pour le crapaud, car par sa faute, les poissons vivent à jamais dans un monde de silence.

Or l’être le plus timide de toute l’île, l’homme, n’avait pas encore osé goûter aux merveilles de l’arbre aux mille sons. Les plus beaux fruits ayant été mangés, il n’y avait plus que des petites noix rabougries et aigres. L’homme ne put se résoudre à avaler des notes aussi mauvaises sachant les effets qu’elles pouvaient avoir sur lui, alors il les emporta et décida de les planter dans son jardin. Quelque temps plus tard, de magnifiques arbres poussèrent, produisant d’étranges fruits en forme de lettres. Mais contrairement aux notes de musiques, ces fruits ne pouvaient se manger crus, car ils avaient un goût détestable. Alors, pour ne pas perdre sa récolte, l’homme emporta ces lettres et les cuisina. Il les découpa en petit morceaux, les mélangea, les cuit de mille façons. Dans chaque préparation, il mit un peu de son « a », un peu de son « o », un peu de ceci, un peu de cela. Il fit de nombreux essais, puis il se mit à table et dîna de ses créations. Soudain, il émit un mot. Il en fut tellement étonné qu’il décida d’inventer le plus de plats possibles pour enrichir son vocabulaire. Ainsi il passa ses journées à cuisiner et quel plaisir il y prit !

Il créa de nombreux plats linguistiques, et tous les jours il s’attabla à de vastes festins de vocabulaire. Rien ne le rendait plus heureux que d’enrichir son lexique, et chaque mot qu’il prononçait lui permit de s’approprier un peu plus le monde qui l’entourait. Grâce au langage, il n’avait plus peur de rien. Il décida alors d’organiser un grand dîner, et de convier tous les autres hommes des îles voisines. Il prépara les meilleurs plats, avec ses plus beaux fruits. Il installa ses convives à une superbe table décorée de fleurs donnant des sons magnifiques. Il fit comprendre à ses invités, qui n’avaient pas l’usage de la parole, qu’il convenait de diner non pas en dévorant de manière désordonnée tous les plats, mais en les dégustant selon un ordre qu’il avait établi. À la fin du repas, tous les convives parlaient la même langue. Une langue unifiée, avec des mots ordonnés selon une grammaire bien précise. Les invités repartirent ravi, promettant de perpétuer ces recettes linguistiques. Mais avec le temps, ils oublièrent ce dîner, et décidèrent de recréer les plats chacun à sa manière. Ainsi chaque personne assaisonna les mots à sa façon, si bien que partout dans le monde, de nombreuses langues virent le jour.

Voilà l’origine des langues, des sons et de la musique, qui par un étrange hasard se répandirent dans le monde. Bientôt les hommes ne furent plus en mesure de se comprendre, mais l’usage du langage leur permit de se développer. Bali se couvrit de multiples sons, celui des avions, des motos, des klaxons et des rires, et devint l’île au bourdonnement incessant. Notre homme qui avait donné le goût des langues à ses congénères fut si déçu qu’il se retira dans le silence. Il coupa son arbre aux mille sons et avec le bois en fit un instrument de musique. Pour se rappeler à jamais de ces plats, il inventa l’écriture pour concilier ses recettes. L’écriture et la musique furent sa seule compagnie pendant ces longues années de solitude. Mais un jour, un chien s’approcha de lui pour le réconforter, et il l’apaisa si bien, que l’homme s’exclama « Il ne te manque plus que la parole ! » Hélas, il ne lui restait plus rien, car depuis longtemps il avait arrêté de faire pousser l’arbre prodigieux. Le chien trouva quand même à grignoter quelques miettes qui trainaient par terre. Jamais le chien n’aurait le don de la parole, mais il serait capable de comprendre l’homme mieux que quiconque.

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