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Les roussettes de l’étonnante Goa Lawah à Bali

Au bout d’une virée chaotique sur la route qui relie Denpasar à Candidasa à l’heure où le soleil se couche de l’autre côté de l’île, nous avons atteint Goa Lawah, la grotte des chauve-souris qui se trouve sur la route côtière entre Casaba et Padangbai. On dit qu’elle abrite le dragon-serpent cosmique Naga Basuki. Avec la silhouette brumeuse de Nusa Penida au-dessus de l’eau juste derrière nous, nous avons garé notre voiture sur le parking de la plage, désert à cette heure-ci, et avons traversé la route. L’odeur vive et sucrée des déjections de chiroptères entrait déjà dans nos narines alors que nous n’étions encore qu’à 200 mètres de la grotte. Le temple qui est devant a été fondé il y a plus de mille ans par Empu Kuturan. Situé face au sud-est, il est l’un des neufs temples cardinaux de Bali. La grotte qui se trouve derrière est supposée s’étendre sur 20 à 30 km à l’intérieur des terres pour émerger à Pura Goa, à Besakih, sur des contreforts déjà élevés du volcan. Après nous être acquittés des 20 000 roupies d’entrée et munis d’un sarong et d’une ceinture obligatoires, nous nous sommes lancés dans les marches de l’entrée. Idéalement, à cette heure tardive, les hordes de touristes qui visitent l’endroit au plus chaud de la journée étaient déjà partis, ainsi que les agressifs rabatteurs, pseudo-guides et autres gamins qui essayent de vous vendre des trucs que vous ne voulez pas acheter.

Derrière la cour intérieure du temple se trouve l’ouverture de la grotte où des milliers de roussettes s’accrochent aux parois, jouant des coudes pour se faire de la place. Les autels et offrandes à l’intérieur de l’entrée sont couverts de guano et l’odeur est presque intenable. Un prêtre solitaire est en train de finir de déposer des offrandes sur une table et nous demande ce que nous venons faire si tard. Nous répondons que nous sommes là pour observer le départ des chauve-souris au crépuscule quand elles partent chercher leur nourriture. Dans une faille d’un rocher, un python se prépare également.
Le soleil coule à l’horizon, donnant le signal aux locataires de la grotte qu’il est temps de s’activer. Doucement au début, puis avec un rapidité croissante, les roussettes s’ébrouent. Des dizaines, des centaines, des milliers d’entre elles décollent dans l’air de la nuit. Etre entouré d’autant de chauve-souris volantes d’un coup est une expérience unique ! Quelqu’un allume soudainement une lampe à l’entrée de la grotte, révélant la vraie dimension de cet exode. Des nuages de chiroptères émergent des profondeurs dans un flux presque solide. Et puis, un à un, les serpents commencent à sortir à leur tour. Nous voyons cinq pythons et un serpent vert jaillir de leurs crevasses en hauteur pour se laisser pendre au-dessus de cette marée de roussettes. Ainsi pendus avec leur gueule grande ouverte, les reptiles essayent de porter leur attaque, réussissant imparablement à en attraper une et à l’enlacer alors qu’elle se débat pour s’échapper. Au sol, un grand python de plus de trois mètres rampe doucement vers l’entrée, sans doute après les rats qui ont également commencé à se ruer en masse sur les bols d’offrande, prêts à se goinfrer.

Les chauve-souris que nous observons sont des roussettes frugivores vivant dans les grottes (Eonycteris spelaea), une espèce inhabituelle car la plupart des chauve-souris mangeuses de fruits se perchent plutôt dans les bananiers ou palmiers. En anglais, ces roussettes sont aussi appelées renards volants, bien qu’elles n’aient aucun lien de parenté avec les renards ou les chiens malgré leur ressemblance. Etant mangeuses de fruits, elles jouent un rôle vital dans la dispersion des graines (y compris celles de durians) et sont par conséquent d’une importance prépondérante d’un point de vue économique pour les humains. Souvent nous sommes agacés de trouver le matin les restes de ripailles nocturnes de chiroptères sur le sol ou les meubles, des restes de graines et des sucs rejetés par des chauves-souris suspendues au plafond. Ces taches de fruits digérés, d’un rouge brun profond, peuvent être difficiles à nettoyer. Quant aux espèces plus petites qui se nourrissent de nectar, elles insinuent leur longue langue dans les fleurs de bananiers, leur tête se recouvrant ainsi de pollen. Comme les abeilles, elles participent à la pollinisation des arbres fruitiers sur toute l’île. Les roussettes sont chassées intensivement en Indonésie et les marchés aux animaux en sont pleins. Les fermiers leur tirent dessus quand ils les repèrent dans leurs plantations de ram-butan, de mangues ou de langsat, bien qu’elles ne mangent que les fruits déjà trop mures pour être vendus. On peut les tenir éloignées des arbres fruitiers avec des lampes puissantes ou des fumées. Les gens achètent aussi les chauve-souris pour leur chair, la chauve-souris grillée est succulente. L’huile obtenue est utilisée comme médicament par la communauté chinoise et les habitants de Manado. Ils pensent que cela soigne toutes sortes de maladies ou d’affections, comme l’asthme ou les maladies de peau. Les roussettes ont maintenant disparu de nombreuses régions à cause de cette pression humaine.

La roussette géante (Pteropus vampyrus) a une envergure de presque deux mètres, parmi les plus grosses au monde. Elle était très répandue, tout spécialement dans les îles de l’est de l’Indonésie. En dépit de son nom, elle ne suce pas le sang, les chauve-souris vampires ne vivent qu’aux Amériques. Puisque leur habitat naturel, – grottes et forêts – disparaît, ces animaux viennent dans les maisons. En Europe, il y a une fondation pour la protection des chauve-souris, elles y sont rares maintenant et il y a de nombreuses associations qui incitent les gens à les laisser vivre sous le toit des maisons sans être dérangées afin de sauver l’espèce.

Un jour, on m’a donné un bébé. De la taille d’une boite d’allumettes, il était tombé de sa mère perchée dans un arbre et commençait déjà à se faire dévorer par les fourmis. Donc, sans aucune chance de revoir un jour sa famille. Je l’ai ramené chez moi, l’ai nourri de chocolat au lait à la pipette, puis de fruits écrasés. Elle a grandi presque normalement. Elle avait l’habitude d’hurler très bruyamment lorsque je rentrais le soir et qu’elle entendait le son de la voiture. Pour différentes raisons, une roussette n’est pas exactement le genre de bête qu’on souhaite garder à la maison et je fis le projet de la relâcher dans une colonie de consorts proche quand elle pourrait voler. Elle avait l’habitude de faire battre ses ailes pour les muscler mais malheureusement, le soir de son vol inaugural autour du salon, elle est tombée sur la tête et est morte instantanément. Nous fûmes aussi retournés par sa mort que nous l’aurions été avec n’importe quel autre animal de compagnie.
De retour à Goa Lawah, toujours en train de nous émerveiller devant ce torrent de chiroptères qui émergent du fond de la grotte, un guide un tantinet de mauvaise humeur nous demande si nous en avons encore pour longtemps. Il souhaite rentrer chez lui, voir sa famille et dîner et, malgré nos protestations expliquant que si nous sommes là c’est justement pour assister au spectacle des chauve-souris, il insiste pour que nous rendions nos sarongs et partions. Légèrement dépités par son attitude, nous le remercions, lui rendons les attributs et quittons le temple à regret. Ce guide n’a pas compris pourquoi nous étions si excités. Pour lui, ce n’était qu’une autre longue journée à la grotte aux chauve-souris. Mais pour quiconque ayant un intérêt pour la nature et le goût pour l’inhabituel et le spectaculaire, Goa Lawah à l’heure du couchant est sans aucun doute une des expériences les plus fortes qu’un visiteur puisse vivre à Bali !

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