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Les infortunes et la misère en France de Balthazar-Pascal Celse

Prince des îles Timor et Solor, pensionnaire de la Compagnie française des Indes orientales et du roi Louis XV (1750-1774)

Du XVIIème siècle jusqu’au XIXème siècle, il y aura beaucoup d’aventuriers aux origines incertaines, d’escrocs en tout genre et d’imposteurs avec des titres aussi ronflants que peu vérifiables qui se présenteront dans les cours européennes, mais ce n’était apparemment pas le cas du « pauvre prince de Timor ». Il n’était ni otage, ni réfugié ou immigré clandestin, ni même escroc, mais le véritable fils d’un roi d’une île lointaine, qui fut la victime d’un tuteur religieux malhonnête et sans scrupule, qui le dépouilla de ses richesses avant de l’abandonner dans le port de Lorient en 1750. Pour son malheur, il n’eut jamais la chance de rentrer dans son pays en dépit de ses efforts persévérants et de quelques appuis généreux qu’il trouva en France.

Les aventures du prince de Timor nous sont connues grâce à deux mémoires publiés à Paris. L’un est signé de Pascal-Balthazard Celse, mais fut sans doute écrit par un membre de son entourage qui parut à la fin du mois de juin 1767. Le second a été publié un an plus tard par un avocat parisien alors célèbre, André Léthinois, chez l’imprimeur André-François Knapen. Il prend la forme d’une « Requête au Roy ». Il décrit la trahison du Père Ignace. Une copie de ce livre a été conservée à la bibliothèque du Musée de Jakarta. Ces textes on été retrouvés par Anne Lombard-Jourdan et publiés en 1978 dans la revue Archipel.

« L’île de Timor avait été christianisée par les Dominicains portugais ainsi que les autres petites îles adjacentes d’Andonara, Lomblem, Florés, Alor et Pantar. En conséquence, le roi de Timor avait l’entière confiance des Portugais qui lui confièrent dès 1769 le contrôle de leur principale place forte dans l’île de Lefao. Gaspar-Balthazar, roi de Timor était vraisemblablement un tupas c’est-à-dire un métis entre un Portugais et une femme indigène, ou bien le descendant d’un tel mélange racial qui détestait les Hollandais et les Anglais qu’il considérait comme « des usurpateurs célèbres de tant de couronnes qu’ils ont flétries. » Le père préservait donc un pouvoir peu contesté sur le centre de l’île de Timor, coincé entre les Portugais côté oriental et les Hollandais côté occidental. Sa capitale était Animata, une petite ville de 1800 maisons avec des murs très bas, entourées de claies enduites de terre séchée, couvertes en feuilles de palmier, avec une misérable église aux murs d’un mètre vingt de haut au toit de palme avec un petit autel orné de pauvres images. Chaque maison possédait une cour entourée d’une clôture en cannes sauvages, le tout environné de cocotiers, de tamarins et de palmiers à sucre. A proximité, se trouvait, parait-il, une rivière « qui roulait beaucoup de poudre d’or et une montagne qui produisait des topazes, des rubis, des saphirs d’eau et autres pierres précieuses. » Le pays fournissait aussi du bois de santal, des épices comme le poivre, les clous de girofle, la cannelle, le gingembre, des piments, de l’indigo, du coton, du café, du sucre, et du tamarin (bois très utiles pour la construction navale). Le café d’Arabie avait été introduit en 1723 par le gouverneur général Zwaardekroon et croissait aussi bien dans la région de Dili que celle de Kupang. Pour ce qui concerne le sucre, les habitants se contentaient de mâcher des morceaux de cannes ou bien donnaient celles-ci au bétail.

Le roi avait quatre fils et une fille, mais accordait beaucoup plus d’attention à Balthazar qui devait être son successeur sur le trône. Pour cette raison, il avait en 1743 désigné comme précepteur, le Père Ignace, un Dominicain portugais afin d’assurer une bonne éducation à son fils favori. Léthinois en dresse un portrait peu flatteur : « Cet instituteur artificieux… démentait par la souplesse de son caractère la fierté trop reprochée à ses compatriotes. C’était un homme adroit, complaisant, attentif, fait pour le manège, capable des plus noires manœuvres, né avec un cœur assez méchant pour les imaginer et un esprit assez subtil pour les conduire heureusement. » Il travailla à convaincre le roi qu’un voyage en Europe était indispensable pour parfaire l’éducation du futur héritier du trône : il l’habitua à l’idée d’une longue séparation en menant l’enfant à Macao pour y faire sa première communion, sous prétexte que la pompe de la cérémonie y serait plus grande, et triompha lorsqu’il le ramena sans encombre et plus dégourdi.

Le voyage suivant, cette fois pour l’Europe, fut programmé. Pour un voyage au long court, on devait utiliser un navire portugais. La tendresse inquiète du père chargea le vaisseau de richesses : or, pierreries, bijoux, effets précieux et il donna à son fils trente esclaves pour le servir partout où il irait. Le Père Ignace avait sur tout cela un pouvoir absolu. Arrivés à Macao, le maître et son disciple logèrent pendant cinq mois dans le couvent des Dominicains. Même Pierre Poivre qui résidait dans le comptoir français en 1751 entendit parler de ce voyage qui ne passait pas inaperçu. Durant ces longs mois d’escale, le Père Ignace profita de son séjour à Macao pour vendre les esclaves dont le nombre l’embarrassait. Une grande partie des effets fut échangée contre des marchandises susceptibles d’êtres vendues en Europe. Puis, désireux de brouiller sa trace, il quitta Macao avec le plus grand mystère et conduisit le Prince à Canton à trente lieues de là.

Bien entendu, pour quitter la Chine, le Père Ignace évita d’utiliser des navires portugais ou hollandais, autant de gens susceptibles d’avoir des informations sur Timor. Il s’embarqua donc sur un navire français le Duc de Béthune commandé par le Sieur de la Chaise, capitaine au service de la Compagnie française des Indes. Le Père Ignace prit soin d’expliquer au jeune prince qu’il ne fallait sous aucun prétexte dévoiler sa véritable identité car « les Français étaient des monstres féroces et qu’ils ne parcouraient les mers et les pays éloignés que pour se saisir de la personne des rois, qu’ils n’avaient de plaisir si vif que celui de les tuer et de les manger lorsqu’ils étaient en leur puissance. » Epouvanté, l’enfant accepta de prendre l’habit d’un esclave et de garder le plus profond silence sur son identité réelle pendant la traversée.

Après neuf mois de navigation, le 13 juillet 1750, le Duc de Béthune arriva au port de Lorient. Le Père Ignace quitta le navire pour quelques jours afin d’effectuer les préparatifs nécessaires pour l’accueil du jeune Prince en France. Pendant trois jours, le Prince resté à bord, commença à s’inquiéter et s’enquit auprès du Capitaine de la date de retour de son tuteur. Le Capitaine ne put que répondre que le Père Ignace avait déjà quitté la ville depuis trois jours… Le pauvre enfant se retrouvait abandonné et sans ressource dans un pays dont il ignorait la langue et les coutumes et qui de surcroît lui avait été dépeint comme habité par des ennemis cruels. Ses seules relations personnelles se limitaient au cuisinier de bord du navire. Ce dernier, pris de pitié, l’emmena avec lui à Saint-Malo où il l’associa à son travail et à son existence pendant sept ans. La maladie enleva au jeune prince le seul homme dont il eût obtenu jusqu’alors consolation et secours. Le Prince réussit alors à s’embarquer comme cuisinier sur le navire Grand Alexandre en partance pour le Canada. « Ainsi, (écrit Léthinois), par la plus bizarre et la plus inconcevable de toutes les singularités, un enfant né du sang royal prés de l’équateur, allait faire la cuisine à des mousses de vaisseau au milieu des glaces de la Nouvelle France. »

Extrait de « Les Français et l’Indonésie »,
Bernard Dorléans, éd. Kailash

Suite et fin le mois prochain

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