Certes la crise actuelle n’a rien à voir
avec celle de 1997-1998, qui avait mis en
lumière la piètre qualité des systèmes
politique, monétaire et bancaire de
L’Indonésie, et conduit à la chute du
Président Soeharto. Le système bancaire
de l’archipel est désormais bien plus sain
et semble à même de faire face à une
crise sans engendrer d’apocalypse telle
que celle d’il y a dix ans.
Il n’en reste pas moins que la bourse de
Jakarta a perdu la moitié de sa valeur
depuis le début de l’année 2008. La
roupie est elle aussi revenue à son niveau
de 1998, ayant perdu 20% face au dollar
dans les deux derniers mois. Les banques
indonésiennes entrent ainsi dans une
période d’incertitude et de frilosité. Une
catégorie fait cependant exception au
milieu de ce marasme ambiant, les banques
islamiques. Très développées en Malaisie,
pionnière en la matière, ces banques
sont apparues au début des années 90
en Indonésie, dans le sillage de la Banque
Muamalat, créée en 1991. Les banques
islamiques se distinguent des banques
conventionnelles car elles appliquent les
principes de la charia, la loi islamique.
Elles ne perçoivent ainsi pas d’intérêt et
ne s’impliquent pas dans des entreprises
liées à l’alcool, au tabac, au jeu ou à la
pornographie. Prenons un exemple :
si vous souhaitez acquérir une maison
avec l’aide d’une banque traditionnelle, la banque va vous prêter de l’argent que
vous rembourserez avec des intérêts. Si
vous faites appel à une banque islamique,
celle-ci va acheter la maison, puis vous la
revendre avec une plus-value.
Dans le cadre de leurs relations avec
les entreprises, les banques islamiques
soutiennent uniquement des affaires avec
lesquelles elles sont prêtes à partager les
risques. « Notre système est appelé islamique
mais c’est surtout un système pour tous
ceux qui croient, ceux qui pensent qu’il est possible de faire un système financier plus
juste, explique A. Riawan Amin, Président
directeur général de la Banque Muamalat.
Je crois foncièrement que les gens sont bons.
Et les gens biens veulent des choses justes. Par
exemple, l’investissement éthique, même aux
Etats-Unis, est en constante croissance. Dans
un sens, les banques islamiques sont juste
une variante de l’investissement éthique ». Et
cela fonctionne. En constante progression
depuis la fin des années 90, les banques
islamiques devraient encore connaître une
croissance de 20 à 30% en 2009. Malgré la
crise. « La crise financière n’a aucun impact
négatif sur le développement de la finance
islamique, assure Ramzi A. Zudhi, directeur du département finance islamique de la
Banque d’Indonésie. Jusqu’à maintenant,
les banques islamiques n’ont montré aucune
faiblesse dans leurs performances ».
C’est le moins que l’on puisse dire. Même
si elles ne comptent encore que pour
2% de l’ensemble du système bancaire,
les banques islamiques devraient en
représenter 5% dès 2010. En dix-sept
ans d’existence, la finance islamique a
multiplié par quinze l’ensemble de ses
actifs. Ainsi, deux banques indonésiennes ont lancé leur département banque
islamique cette année, et au moins cinq
autres devraient voir le jour en 2009. Les
clients de la finance islamique, à l’instar
du vice-président Kalla, qui suggérait à ses
compatriotes il y a quelques semaines de
se tourner vers les banques islamiques
pour faire face à la crise mondiale,
semblent conquis. « La majorité de nos
employés sont musulmans et nous pensions
ainsi que c’était une bonne idée de se pencher
sur ce qu’est la finance islamique et sur ce
qu’elle pouvait nous apporter, raconte le
docteur Ivan Rizal Sini, directeur d’hôpital
à Jakarta et client de la banque Muamalat.
Et d’un point de vue purement économique, la comparaison des taux mais aussi la différente
appréciation des risques pris par la banque
sont des éléments qui nous ont rapprochés
des banques islamiques au détriment des
banques conventionnelles ».
Les banques islamiques jouent d’un autre
atout face aux banques conventionnelles
en cette période de troubles. En opposant
aux très compliqués instruments dérivés
des banques traditionnelles un système
très clair et détaillé, elles sont parvenues
à limiter les risques. C’est ce qu’explique
Imam Sugema, économiste à l’Université
d’Indonésie : « Ces banques ont déjà
prouvé leur solidité en période de crise. Leur
principe est la prudence et elles s’y tiennent,
contrairement aux banques commerciales et
aux banques d’investissement qui prennent
plus de libertés. Le principal message ici est
que si vous avez un système très prudent, qui
ne parie pas sur des produits volatiles mais
sur le secteur réel, une banque peut être sûre
même en période de crise ».
La finance islamique semble baser son
succès sur des fondations solides. En
développement exponentiel dans les
pays à majorité musulmane, elle devrait
désormais s’attaquer aux pays occidentaux,
essayant de leur démontrer qu’elle est
davantage qu’un système orienté vers
la religion. Et dans cette quête, la crise
financière actuelle pourrait bien être sa
principale alliée.