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Le plus précieux des cadeaux

1ère partie. A une époque où on couvre nos enfants de cadeaux, des avalanches de jouets dès un âge où ils ne peuvent même pas les tenir en main, de gadgets électroniques alors que leur motricité fine n’en est qu’au stade de tenter de sortir et remettre leur tétine dans leur bouche… les adultes sont devenus particulièrement avares du plus précieux des présents, le temps. Le temps des parents, le temps des enfants, tout est bâclé, découpé en tranches, accéléré… plus c’est rapide, mieux c’est, la performance prévaut sur la qualité et le plaisir.

Le marathon commence très tôt. Dès les premières secondes de vie à l’air libre, vite, on évacue bébé loin de sa mère pour lui faire subir des tests barbares, afin dit-on de le sauver de la grande faucheuse qui va le happer, c’est sûr, si on ne lui fait pas cracher cris et mucus immédiatement. Puis vite vite, on le lave, l’habille et… Aaaah, enfin dans les bras de maman ! « Oh mais madame, ça ne va pas ça, il ne tête pas encore ce bébé, vite vite vite, pincez-moi ce téton et mettez-le lui dans la bouche, vite, sinon il va mourir de faim. »

La maman a à peine le temps de réaliser que ça y est, bébé est là, qu’elle est renvoyée chez elle, « deux jours à la maternité c’est bien assez pour devenir une bonne mère madame », sous-entendu si c’est difficile, c’est que vous en êtes une mauvaise, sans instinct ! Et la bonne copine de vous faire remarquer, « oh moi, j’ai quitté la maternité avec mon jean d’avant ma grossesse ! » Même pas le temps de voir dégonfler sereinement cette bedaine que votre corps a mis neuf mois à remplir.

Visite chez le pédiatre. Alors que vous apprenez incrédule que la seringue qui vient de percer le pied de bébé lui a inoculé le vaccin du BCG sans qu’on vous ait demandé préalablement votre avis, on vous dit d’un air compassé, « Bébé a un mois madame, il vous faut le sevrer dès à présent afin de pouvoir reprendre le travail le mois prochain. » Dîner entre amis, au milieu du brouhaha des conversations, soudain un cri perçant, « Comment, bébé a trois mois et il ne dort pas encore tout seul dans sa chambre ?!!!!! » et là vous entendez, incrédule, une cyber-maman vous expliquer que si votre bébé de trois mois pleure quand vous essayez de le coucher seul dans sa chambre, c’est qu’il fait des caprices (des caprices ?!!!!) et que vous devez le laisser pleurer. Fort heureusement, rares sont les mamans qui ont choisi de vivre à Bali et qui adhèrent à ce schéma glacé du rapport de la mère à son bébé.

Mais il n’y a pas que les mamans de nourrissons pour vous imposer leurs conseils avisés. En bonne épouse, vous invitez belle-maman à dîner à la maison. Au milieu du repas, elle pointe du doigt bébé, bienheureux, au sein « Mais, il est neuf heures et il n’est pas encore couché ? » et de vous le prendre d’autorité, de le coucher et de vous tenir éloignée d’une main ferme tandis que bébé s’époumone, seul dans le noir, emprisonné dans son lit à barreaux.

C’est ce que l’on appelle la méthode de « contrôle des pleurs » ou méthode Ferber selon laquelle on peut « apprendre » à un bébé à arrêter de pleurer en le laissant pleurer seul. Un parent ira de temps en temps jeter un coup d’œil, mais ne prendra pas le nourrisson dans ses bras et ne restera pas avec lui. Au bout d’un moment, le bébé intégrera que les pleurs n’apportent pas de réconfort et cessera de pleurer. Les parents sont encouragés à planifier et à limiter le temps qu’ils passent à vérifier que tout va bien. Alors que tout ce que la mère entend c’est son bébé affolé par l’abandon qu’il vit, belle-maman lui explique doctement que bébé essayait de lui imposer sa volonté et qu’il est assez grand à présent pour apprendre à se suffire à lui-même. Que si bébé est plié à cette routine barbare, il sera plus indépendant, il saura s’adapter facilement à l’organisation du temps à l’école et au monde du travail. Pourtant, à travers le globe et tout au long de l’histoire de l’humanité, les nourrissons ont découvert le monde accompagnés, en lien tactile étroit avec la mère au moins durant les deux premières années de vie. Sont-ils pour autant moins indépendants ? Certainement pas. Les exemples pullulent de peuples au sein desquels les nourrissons ne sont jamais seuls, et dont les enfants apprennent très tôt à utiliser les pistes dans les forêts et se révèlent dès l’âge de huit ans, aussi indépendants que leurs parents.

L’écrivain Jean Liedloff qui a vécu avec le peuple Yequana au Vénézuela, explique brillamment que si un enfant est rassasié de proximité, alors en grandissant il ou elle n’aura besoin de revenir à ce contact maternel qu’en cas d’urgence. Cet enfant va grandir pour être plus autonome, pas à cause de la rareté des premiers contacts (comme les défenseurs de la méthode du contrôle des pleurs l’affirment), mais exactement pour les raisons inverses : à cause de leur abondance.
Donnons du temps à nos bébés parce que seul un solide sens de sécurité, patiemment construit, dans le plaisir des échanges, permettra à l’enfant de devenir indépendant, sans peur ni rancœur.

La suite le mois prochain

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