Pas très loin de Bali, sur le plateau de Tengger, à Java-Est, vit un peuple dont les origines remontent au 13ème siècle, correspondant au déclin du grand empire hindou du Majapahit. C’est ici, dans ces montagnes du Tengger parsemées de grands volcans actifs comme le Bromo ou le Semeru (le très vénéré Mahameru ou « grand stupa », 3676 m) que des pèlerins se sont installés pour se cacher dans les montagnes, fuyant l’islam conquérant, la décadence des grands centres de Prambanan ou Borobudur et l’éruption titanesque du Merapi qui recouvrit alors toute la région de plusieurs mètres de cendres. Sur ces hauts plateaux, il était aisé de se cacher et de continuer à pratiquer le culte de Shiva, de se mélanger avec les tribus autochtones qui vivaient sur les pentes des montagnes et dans la jungle primaire. Java-Centre avait depuis bien longtemps dépêché des émissaires dans l’Est – et ce jusqu’à Bali – pour étendre son royaume, mais le déclin était annoncé, beaucoup devaient se cacher ou fuir plus à l’Est.
Ranupani est le dernier village et aussi la porte d’entrée vers le toit de Java, le volcan Semeru. Depuis deux ans, la route est enfin partiellement goudronnée. Elle longe la bordure sud de la caldeira du Bromo avec sa mer de sable et mène au village qui se découvre enfin au monde. Les visages sont multiples, on se croirait au Tibet ou plus encore en Mongolie tant l’aspect de certains locaux sont semblables aux peuples des plaines d’Ulan Bator. Ici, on est paysan de père en fils, porteur pour les expéditions sur le volcan Semeru ou aide de camp de Sarmin, le chef du parc national du Tengger. 30% de la population du village résiste encore à la conversion à l’islam et prône un hindouisme très local qui a son pic lors des fêtes de Kasodo, sur les pentes du volcan Bromo tout proche.
Ici, sur le plateau, le cheval est roi. On en compte des dizaines au village de Ngadisari. Ils aident à transporter l’herbe nécessaire au bétail ou le voyageur qui désire parcourir l’immense mer de sable jusqu’aux pentes du volcan fumant. Chaque année, à la pleine lune de novembre, ils sont des milliers à assister au lever du soleil sur le bord du cratère du Bromo, Brahma le bienfaiteur, créateur de toute vie sur terre. Les offrandes sont nombreuses au dieu volcan, sacrifices de poulets et parfois de chèvres que l’on jette au fond du gouffre fumant. Dans les siècles passés, on se devait d’offrir toute espèce animale vivante sur terre en l’honneur de Brahma. Ainsi, éléphants, tigres, léopards, cerfs, chevaux, tous furent victimes de la croyance divine.
Le culte du cheval perdure à Ranupani. Dans quelques maisonnées en haut du village, il est le véhicule indispensable pour transporter les légumes jusqu’à la route qui conduit à Malang. Culte du cheval mais aussi réincarnation du cheval dans la danse, la croyance populaire, où l’homme, fidèle ami de l’animal, se transforme lui-même en cheval et, dans cette métamorphose, devient medium et entre en contact avec le monde des esprits. On appelle cette manifestation le « kuda kepang », la transe des hommes chevaux.
Si parfois, on sourit gentiment de voir les Indonésiens être en contact étroit avec un être supérieur lors de cérémonies ou se flageller, ou se planter des kriss dans le ventre, ou atteindre un état second qui ressemble fort à l’extase lorsqu’il rencontre un esprit ou un ancêtre, saisissons plutôt l’opportunité de nous plonger dans l’âme même de ce pays. Allons au devant de ce peuple, connaissons son histoire et partageons des moments avec ses populations, que ce soit au bout des îles de l’archipel ou tout simplement à Java ou Bali. Les Indonésiens, de quelle religion soient-ils, ont toujours cet incroyable désir de réincarnation et la croyance en l’esprit, cette racine de l’animisme, n’est jamais très loin. Comme là-haut, près du toit de Java, sur le plateau du Tengger.