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La gazette de la gazette dans la Gazette… de Bali

Un journal, ce n’est pas une entreprise comme les autres. Surtout en ces temps de déclin de la presse papier face aux coups de boutoir de la fée Internet. Alors, nous avons saisi l’occasion de ce dixième anniversaire pour vous présenter la genèse du journal, ses coulisses et son équipe bien portante. Retour sur une décennie de projets, de rencontres, de frissons et de plaisir à travers une série d’hommages.

Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Ce proverbe africain s’applique bien à la démarche coopérative de ce journal qui est la somme d’une série de rencontres, d’amitiés indéfectibles et de contributions intellectuelles et financières depuis 10 ans et plus. Je vais profiter de cette tribune pour rendre hommage à tous ceux qui ont apporté leur pierre à cet édifice, la liste risque de dépasser le générique de fin d’un péplum, maaf untuk ketidaknyamanan (j’adore ce mot à rallonge, je vous laisse en chercher le sens dans votre dictionnaire préféré après en avoir repéré le kata dasar).

Si ce journal s’appelle la Gazette, comme tant de publications sur Terre (on trouve même une « Saudi Gazette » en Arabie Saoudite), on le doit à Thierry Guintrel, ébéniste de son état et ami de longue date que j’ai emmené gravir quelques volcans à Java ou Sumbawa. C’est lui qui employait toujours ce mot pendant la gestation de ce projet en 2005. Vous ne l’avez jamais vu en interview dans le journal parce qu’il chérit plus que tout sa tranquillité. C’est aussi un annonceur depuis le premier numéro tout comme Jérôme Perrussel le plongeur ou Bertrand Meslin l’affréteur dont j’ai toujours aussi bénéficié des conseils avisés pour la conduite de mon entreprise.

Celui qui a joué un rôle charnière dans le lancement et l’enracinement du journal, c’est bien sûr Raphaël Devianne, notre ancien consul de Bali. Je suis allé le voir pour lui parler de ce projet alors que je n’étais pas encore inscrit au registre des Français de l’étranger. Il a accepté spontanément de faire passer un message à tous les Français de Bali pour les avertir de la parution prochaine du journal. Il a tenu une rubrique pendant 7 ans dans le journal qui a eu tellement de succès que c’était bien souvent le premier article que nos lecteurs consultaient. Sa générosité et son sens du bien public l’ont poussé ensuite à monter le club Bien à Bali, le groupe des visiteurs de la prison et à prendre depuis peu la direction du club Rotary de Seminyak. C’est grâce à ce premier message envoyé par Raphaël que j’ai pu rencontrer Eric Buvelot, ancien journaliste de Libération, qui a contribué dès le premier numéro au succès du journal, son papier était intitulé « lettre à Mamadou ».

Cette lettre m’amène à parler bien sûr du choix de la langue française pour ce journal. C’est un sujet qui a fait débat pendant la gestation du journal qui n’a duré que 5 mois. Quel intérêt dans ce monde si anglophone et international de monter un journal dans une langue en perte de vitesse qui tirerait forcément le contenu vers le franchouillard et la France ? Pourquoi au moins ne pas le faire en deux langues ? J’avoue avoir douté et penché un moment pour une édition bilingue. Outre la difficulté de faire une belle mise en page sur un texte en deux langues et la conséquence sur les articles forcément réduits, aucun magazine bilingue ne m’avait jamais convaincu de sa pertinence en terme éditorial. Parler une langue, c’est assumer une culture, comme l’a écrit le grand auteur martiniquais Frantz Fanon. Une langue n’est pas qu’un véhicule d’échange, elle porte en elle des références, une approche, une manière d’analyser les choses. Or, l’anglais utilisé dans les publications disponibles en Indonésie et à Bali ne me semblait réduit qu’à un plus petit dénominateur commun linguistique. Faire le choix du français pour un journal en Indonésie, ce n’était pas celui de la langue d’une bande d’irréductibles gaulois incapables d’articuler trois mots d’anglais, ni celui politique de la francophonie –pour moi, une survivance de la politique coloniale française- et encore moins celui d’une quelconque assistance financière publique –la Gazette de Bali n’a jamais reçu une seule roupie d’aide de l’ambassade, de la France ou de l’Europe.

On nous a souvent demandé pourquoi on ne donnait pas de nouvelles de la France dans le journal. La réponse est très simple : nous ne sommes pas un journal d’expatriés, éloignés pour un temps de la mère patrie. A Bali, nous sommes pour la plupart des immigrés, nous avons quitté nos pays d’origine, la langue française reste notre langue affective. La Gazette a pour vocation le décryptage de l’Indonésie et de ses habitants, indonésiens et étrangers. C’est la voix en français des amoureux de l’Indonésie et non pas la voix de la France.

Il y a quelques années, un ambassadeur de France m’avait tiré les oreilles parce que nous avions parlé en mauvais termes d’un ministre, un des hommes les plus riches d’Indonésie et responsable d’un désastre écologique au sud de Surabaya. J’ai dû lui rappeler que je faisais mon métier de journaliste et qu’il n’avait rien à voir avec celui de diplomate. J’ai réalisé à ce moment que le journal était perçu par les autorités comme la voix de la France. Nos analyses et nos prises de position suscitent le respect et amènent souvent nos lecteurs à nous demander si nous n’avons jamais rencontré de difficultés avec les autorités indonésiennes. Pour l’instant, non. Je fais de mon mieux pour les prévenir en pratiquant une sévère auto-censure, quasiment dans chaque numéro. Nous disposons en Indonésie d’une certaine liberté de la presse, en tous cas relativement la plus grande parmi les pays d’Asie du Sud-Est mais nous n’en abusons pas, nous savons que les Indonésiens s’offusqueraient de critiques émises par des étrangers. Et puis la tragédie de Charlie Hebdo est venue nous rappeler dernièrement qu’il y a des sujets qui fâchent, j’avais d’ailleurs reçu des menaces de mort par Internet lors de la publication des premières publications des caricatures de Mahomet en 2006 en France.

2006, c’est l’année où nous avons lancé « The Communities of Indonesia », un périodique sur le même modèle que la Gazette, en anglais et 6 autres langues qui ont fait leur apparition progressive au fil des mois : espagnol, italien, allemand, hollandais, grec et russe. Une vraie Tour de Babel, témoin de la diversité des communautés étrangères qui se côtoient à Bali mais difficile à mettre en œuvre avec toutes ces langues que nous ne maitrisions pas. Trois ans plus tard, « Saga » a fait suite à ce journal multilingue, un magazine branché et tendance en anglais qui n’a jamais trouvé son public malgré nos efforts. Notre dernière tentative d’étendre nos titres a été « Jakarta Fokus », un supplément en français sur la capitale. Pas facile de se développer sur cette capitale tentaculaire et sans le soutien de petits entrepreneurs comme ce fut le cas à Bali.

Sans Bali, il n’y aurait jamais eu de Gazette. Nous puisons chaque mois dans son vivier des portraits, des expériences, des histoires, c’est une pêche miraculeuse qui ne semble jamais s’arrêter tant cette île, notre île, continue d’aimanter des gens du monde entier. Sur cette île si traditionnelle et si farouchement ancrée dans sa religion, à la fois îlot de résistance et grand lieu d’échanges, on vient prendre du bon temps, révéler sa conscience, monter sa petite entreprise ou des projets fous qui parfois capotent au bout de quelques mois. Bali donne parfois l’impression d’être l’incarnation de cette série télévisée américaine diffusée dans les années 80, « L’île Fantastique » où n’importe quel désir pouvait se réaliser. Elle a beau changer, ses rizières rétrécir, ses côtes se bétonner, ses eaux se polluer, la magie de l’île est intacte pour qui sait ouvrir les yeux. On croit avoir déjà tout lu et tout écrit sur Bali mais chaque mois, l’île et son incroyable richesse s’offrent à nous et nous écrivons un nouveau chapitre de son histoire. Merci Bali, merci aux Balinais, merci à tous ceux qui ont participé à cette aventure et qui y contribuent financièrement. Le 5 juin, au musée Pasifika à Nusa Dua, nous célébrerons l’anniversaire du journal en musique, plein de surprises vous attendent…

Remerciements :
Trois membres de notre équipe ne figurent pas sur la photo principale, lors de la prise de vue Ron Lilley était en Angleterre, Sophie Kukukita au Japon et notre graphiste depuis 2005, Eris Tio, à Java. Voici la liste de nos anciens contributeurs et photographes que je tenais à saluer et à remercier sur cette page, en commençant par ma femme : Lidia Olivieri, Elliott Bakker, Made Suradiya (†), Marie Bee, Marie Michel, Patrick Monsarrat, Bernard Dorléans(†), Cecilia Castilla, Charlotte Martinet, Christine Marcilly, Halida Ilahude Leclerc, Jean Couteau, Laetitia Chaneac, Laurent Volk, Sliman et Nadji Benotmane, Olivier Fargeix, Michel Schmidt, Miss O, Myriam Furlan, Nico de Ribas, Rainer Wendt, Raphaël Devianne, Slyno, Thierry Robinet, Aimery Joessel, Fabrice Charbonnier, Joaquim Brissaud, Alexandre Gaudin, Anaïs Tierny, Anne-Laurence Gollion, Antoine Lamoureux, Arnaud Guillemot, Aurélie Godet, Cécile Deschamps, Géraud Beaudonnet, Guillaume Laisse, Julie Lefèvre, Lucas Piquet, Marie de Longevialle, Marion Mercy, Maud Roche, Raphaël Marchant, Tristan Lochon… Et puis quelques noms d’amis et de relations qui ont compté dans l’histoire du journal : Anak Agung Alit, Made Sudirat, Dominique Seguin, Stéphane Lebaube, Jean-Jacques Audureau, Laurence Barrault, Dominique Verdellet, Jamy et Joost Van Der post, Jeane Seah, Driss Tabakkalt, Claire Guillot, Aria Nemaya, Carine François, Danièle Le Moal, Eddy Lapergue, Justine Lesage, Julien Delage, Lise Lystianti, Lucy Mc Gilligan, Marie Taille, Philippe Augier, Xavier Cappelut, Johanna Lederer, Pierre Porte, Ismail « Néné » Abdou, Nicolas « Doudou » Tourneville, et tous ceux que j’ai peut-être oubliés…

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