Si vous avez lu « Les rajahs blancs », le livre de Gabrielle Wittkop qui relate la formidable histoire de l’aventurier James Brook devenu rajah d’un immense empire privé au XIXème siècle, le Sarawak sur l’île de Bornéo, vous vous êtes sans doute senti attiré par cette terre mystérieuse au nom évocateur d’indigènes coupeurs de têtes. Ne disait-on pas encore après la seconde guerre mondiale que Bornéo recelait parmi les dernières terra incognita, zones non encore cartographiées ? En surfant un peu sur le web à la recherche des richesses de cette région depuis intégrée à la Malaisie, je suis tombé sur le parc national du gunung Mulu. Situé tout près de la frontière du Brunei au nord du Sarawak, ce parc naturel fondé en 1974 figure sur la liste du patrimoine de l’Unesco depuis 2000. Il tire son nom de son point culminant, le gunung Mulu. Ce parc recèle des grottes parmi les plus grandes du monde, une richesse de faune et de flore unique et des aiguilles karstiques qui affleurent à 40-50m au-dessus de la canopée au terme d’une ascension de plusieurs heures. Il ne nous en fallait pas plus pour monter un trek et partir à la découverte de ce parc perdu dans la forêt primaire de Bornéo, relié à la civilisation par un fleuve et un petit coucou qui le dessert chaque jour.
Après une première escale à Kota Kinabalu en provenance directe de Bali, nous voici dans l’avion en route pour Mulu. Nous survolons les méandres de larges fleuves, la forêt primaire s’étale au-delà de l’horizon, l’imagination fonctionne déjà à plein. Dans le petit aérodrome, nous avisons un gros 4×4 qui nous emmène au Head Quarter du parc national de Mulu à peine distant de 2km. Tout est propret et reluisant, bien entretenu, nous sommes surpris par l’efficacité des employés qui nous aident à organiser notre séjour, réserver la pirogue et nos places dans le Camp 5 qui nous servira de point de départ à l’ascension des fameuses Pinnacles. Le soir même, nous empruntons un des multiples chemins qui traversent ce parc pour assister au spectacle de 2 millions de chauve-souris qui sortent à 17h45 de leur grottes et se mettent en chasse de leur pitance. Par milliers, elles débouchent à tour de rôle, leur vol épouse la forme d’une hélice, le plus souvent horizontal et parfois vertical, on ne peut s’empêcher de penser à l’entrelacs de l’ADN, le spectacle est majestueux.
Au matin du deuxième jour, en attendant de prendre notre pirogue, nous partons par un autre chemin nous promener sur un circuit suspendu dans la canopée. Nous nous attendions à pouvoir observer quelques animaux mais l’endroit a été déserté, nous goûtons quand même le plaisir de cette déambulation dans les airs à plusieurs dizaines de mètres du sol avant de nous lancer dans notre expédition. Le trajet en pirogue ne prendra qu’une heure mais il nous éloigne encore un peu plus de la civilisation, nous ne croiserons que quelques rares maisons disséminées le long du fleuve. Nos piroguiers nous déposent enfin à l’orée d’un chemin de 9 km serpentant dans la forêt et qui nous conduira directement au fameux Camp 5. Ce camp a servi de base à une expédition de 115 scientifiques anglais appartenant à la Royal Geographic Society entre 1977 et 1978. On y trouve un dortoir de 54 lits, de l’eau potable et une cuisine mais on est prié d’arriver avec son cuisinier et ses provisions pour trois jours. Une fois installés nos affaires et surtout notre moustiquaire, nous partons nous baigner dans la rivière bien fraîche qui longe le camp, l’ascension n’aura lieu que le lendemain matin. Après un intermède comique à cause d’un plat de pâtes totalement plâtreux (nous sommes les seuls à ne pas être en voyage organisé, nous n’avons ni tour leader ni cuisinier et donc pas de bonnes frites, ni une multitude de plats patiemment préparés depuis l’après-midi), nous nous rattrapons sur la bouteille de rhum qui nous a demandée presque deux heures de recherche à Kota Kinabalu !
Le lendemain matin arrive enfin le moment tant attendu de l’ascension. Le guide nous prévient d’emblée que si nous n’atteignons pas la première étape en moins d’une heure, nous ne monterons pas plus haut ! Ah, certainement une manière de ne pas prendre de risques avec des randonneurs du dimanche. L’ascension nous surprend, les pierres sont extrêmement coupantes, il faut regarder où poser le pied, je réalise rapidement que j’ai fait l’erreur de ne pas prendre mes chaussures de montagne, mes baskets sont lacérées à plusieurs endroits. En nous élevant, nous atteignons les premières échelles qui ont été scellées pour faciliter l’ascension, il y en aura près d’une vingtaine ainsi qu’un réseau de cordes épaisses, heureusement, parce que c’est la première fois que nous sommes confrontés à un relief aussi coupant que glissant. Après à peine trois heures de grimpette bien raide, nous arrivons au sommet et découvrons le spectacle étonnant de ces aiguilles karstiques érodées qui émergent de cette forêt vierge, magnifique ! La descente se révèlera bien plus ardue que la montée mais nous serons pourtant de retour avant 13h.
Le quatrième jour au petit matin, nous retrouvons nos piroguiers qui nous attendent à l’heure dite, ils nous déposent à l’entrée d’une des fameuses grottes du parc, nous serons surpris par la taille spectaculaire de ces cavités souterraines, le plafond de la grotte du cerf atteint plus de 100m. Une autre abrite une rivière en forme de canyon, elle peut même faire l’objet d’une visite très sportive en basses eaux. Nous nous promettons de revenir un jour avec nos familles, l’endroit est vraiment exceptionnel et particulièrement bien entretenu et conservé, un modèle du genre qui devrait inspirer tous ceux sur Terre qui cherchent à préserver les lieux naturels.