Tout le monde à Bali a croisé le truculent Patrick Segin parce qu’il se produit régulièrement sur scène mais peu savent que c’est avant tout un ébéniste qui s’est fait depuis quelques années une spécialité de réaliser des cuisines sur mesure. Après 25 ans de relations avec l’Indonésie, il partage avec nous un peu de son enthousiasme pour le pays de ses rêves.
Ce n’est pas l’appel des cocotiers, l’ambiance new-age ou les mystères de l’hindouisme qui ont fixé cet homme de 58 ans à Bali. Non, la raison de son installation est intimement liée à son métier de menuisier ébéniste. A la fin des années 80, un de ses amis rentrait de vacances et lui dit : « Je reviens du pays des ébénistes ! – c’est où ? En Indonésie ? – Et où ça se trouve ? En Asie ! » Patrick avoue qu’il n’avait jamais entendu parler du plus grand archipel du monde mais son ami lui a raconté Java et tous ces artisans qu’il a vu sculpter le bois et travailler avec quelques outils rudimentaires. « Je suis donc venu la première fois il y a 25 ans, se rappelle-t-il dans son petit bureau qui domine son grand atelier situé juste derrière la prison de Kerobokan, j’ai découvert cette fourmilière de petits artisans très habiles, retrouvé le plaisir de mon apprentissage, le travail à l’ancienne et ça m’a d’abord donné envie d’acheter leurs meubles pour les revendre. Puis nous avons monté avec un ami une usine à Solo où nous produisions nos propres designs que nous avons vendus grâce à une équipe de 7 représentants à travers toute l’Europe. Ce n’est qu’en 2002 que j’ai fini par venir m’installer définitivement en Indonésie et j’ai choisi Bali comme beaucoup de gens parce qu’on y croise du monde, des clients et que la vie y est très douce. J’y pratique beaucoup la musique dans différents groupes de jazz ou autres et depuis deux ans, je fais du théâtre avec la troupe License IV. On m’a vu monter sur scène dans un habit de curé qui ressemblait à celui de Don Camillo, une grande partie de rigolade nécessaire à mon équilibre, j’ai une intense vie sociale et associative et je passe beaucoup de temps en cuisine à rigoler avec les copains, manger du saucisson et boire des canons. »
Comme tous les gens qui entreprennent à Bali, l’ébéniste apprécie de pouvoir se concentrer sur le plaisir de son métier et de ne consacrer qu’un minimum de temps à la gestion de son entreprise : « c’est bien simple, nous n’avons même pas de boite aux lettres, l’administratif est réduit à sa plus simple expression, c’est le bonheur pour un artisan comme moi. Un jour, deux gars des impôts ont débarqué pour me féliciter de payer aussi bien mes taxes, avouez que ça n’arriverait pas dans l’Hexagone ! » Patrick Segin confesse qu’il travaille avec des machines archaïques qu’on utilisait il y a 40 ans en France : « on peut penser que je suis réfractaire au progrès, mes amis me pressent d’acheter des machines à commande numérique mais en fait, elles font perdre tout le plaisir de notre métier et la créativité. Je trouve mes employés indonésiens bien plus créatifs que ceux avec qui j’ai travaillé dans mon pays d’origine. Ici, on a le plaisir de tout assembler à la main, de transmettre des techniques à nos employés et d’avoir de belles caisses à outils bien remplies. »
L’entretien glisse naturellement sur le bois, on imagine que cet amoureux du copeau met en œuvre les dizaines d’essences dont on entend toujours parler dans la construction et les meubles en Indonésie, les merbau, bengkirai, ulin… Eh bien, surprise, pas du tout. « Hormis le teck, je n’utilise aucun autre bois plein ; le bois, c’est un gros problème lié à la corruption. Il n’y a que pour le teck qu’il y a de la traçabilité avec le ministère en charge de la gestion des forêts. Et malheureusement, on ne replante pas assez, les forêts disparaissent au profit des palmiers à huile largement subventionnés au niveau mondial. Et comme il y a de la corruption, il y a des trafics, on se fait toujours abuser avec des planches maquillées. Ca m’est arrivé une fois avec un morceau de 6 m par 1.6m, du très bel ouvrage, entièrement contrecollé sur les parties visibles, une belle contrefaçon, depuis j’ai laissé tomber. »
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