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Kedonganan, champion incontesté du micro-crédit

Ketut Madra nous reçoit chez lui. Posté sur la terrasse de sa maison, en habit de cérémonie en raison d’une cérémonie qui approche, il est habitué à recevoir des journalistes du monde entier pour parler de la réussite de son village en matière de prêts sociaux pour la communauté. Il y est habitué certes, mais il s’en étonne toujours et nous demande comment nous avons entendu parler de Kedonganan. Ketut Madra est à l’origine de la création du LPD de ce petit port de pêcheurs, démarré en 1990, avec à peine plus que 4 millions de roupies. A l’origine, ces organismes de crédits villageois ont été institués par un décret du gouverneur, c’était en 1984. Ils sont complètement indépendants et échappent donc au contrôle et aux garanties que peut donner la Banque d’Indonésie. Plus de mille ont été institués sur l’île, beaucoup ont fait faillite, certains autres, aidés par l’afflux touristique, se sont enrichis facilement. Seul un a rendu prospères 600 familles de pêcheurs alors au seuil de la misère : le LPD de Kedonganan.

Temple rénové et fierté retrouvée« Le plus dur a bien sûr été de gagner la confiance des gens, se souvient Ketut Madra d’autant qu’au début, nous n’avions même pas de table ni de machine à écrire. Personne ne voulait nous écouter. » Conscient que croyance et traditions sont fondamentales dans la psyché de ses congénères, cet ancien étudiant en droit, aujourd’hui âgé de 46 ans, va donc utiliser son maigre pécule, qu’il renforce de ses propres économies, pour commencer la rénovation d’un temple en piteux état. Leur fierté retrouvée grâce à la réhabilitation de ce lieu de culte, les habitants de Kedonganan commencent à regarder d’un autre œil cet excentrique qui leur demande sans cesse de cotiser. « Chez nous, le plus gros du budget part dans les activités liées aux croyances, la crémation, le limage des dents, tout coûte cher et si on ne veut pas vendre toutes nos terres une à une à des étrangers, il fallait bien faire quelque chose », précise encore le mentor de ce micro-crédit à la balinaise.

Certains se laissent donc tentés. L’effet de bouche à oreille jouant au maximum dans un village, en quelques mois, le capital grandit. De 4 millions de bénéfice la première année, on passe à 22 en 1991, puis 55 en 1992. Pour que les choses aillent plus vite, Ketut Madra n’hésite pas à hypothéquer le terrain familial à hauteur de 100 millions. Fin 93, un autre temple est rénové pour un budget de 350 millions de roupies. Le LPD devient de plus en plus populaire et avec un taux d’intérêt à seulement 3,3% par mois, les derniers sceptiques se laissent séduire. Quasiment tous les foyers de Kedonganan en font désormais partie, grossissant ainsi le capital à hauteur de 762 millions de roupies en 1993. Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la crise monétaire à venir va justement servir à consolider cet organisme de financement communautaire. Avec à-propos, Ketut Madra, achète des taxis par dizaines au moment où les touristes se font rares. Ceux qui continuent de venir à Bali en ces années 97-98 bénéficient d’un taux de change très favorable et payent les courses rubis sur l’ongle. Les véhicules, gérés en sorte de coopérative, vont rapporter une fortune. Entre 1997 et 1998, les bénéfices du LPD de Kedonganan vont doubler, passant de 303 à 615 millions de roupies.

Bourse scolaire et crémation gratuite
Aujourd’hui, avec un capital de plus de 110 milliards de roupies, le LPD de Kedonganan fonctionne comme une véritable institution bancaire. Il en a l’apparence, notamment au niveau des produits proposés et de l’opulence de ses nouveaux locaux inaugurés en janvier dernier, mais il n’en a pas l’arrogance. Les taux pratiqués, faisant écho au succès sans précédent de cette entreprise démarrée il y a 20 ans, sont dérisoires. De plus, un fonds de développement doublé d’un fonds social permettent de servir au mieux la communauté. Les temples sont somptueux et on pratique des crémations en masse gratuites depuis 2006. Des bourses sont allouées aux écoliers, une assurance-décès gratuite permet le versement instantané d’un million de roupies à la famille d’un défunt, les prêtres et les employés du LPD, aujourd’hui une cinquantaine de personnes, bénéficient d’une couverture médicale gratuite, enfin, on y construit des écoles maternelles et un terrain de football pour les jeunes. Pierre d’achoppement de l’action de Ketut Madra pour son village, la mise en place, depuis les années 2000, de ces restaurants de poissons alignés sur la plage et qui sont gérés en multipropriété. « Nous avons créé une sorte d’économie socialiste avec ce projet de restaurants. A Jimbaran, c’est bien différent, les propriétaires sont mêmes souvent extérieurs au village », explique-t-il. Les membres de la communauté villageoise sont actionnaires de ces 24 établissements qui, selon Ketut Madra, dégagent un chiffre d’affaires moyen de 12 milliards de roupies par mois. Une manne pour tout le village…

L’entreprise financière gérée par Ketut Madra propose depuis 20 ans aux pêcheurs de Kedonganan un système de prêts sociaux que le monde entier préconise aujourd’hui comme LA solution aux difficultés économiques des plus dévaforisés. Le Bangladeshi Mohamed Yunus a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de la Paix en 2006 pour son travail sur le sujet. En France par exemple, l’ADIE (Association pour le droit à l’initiative économique) a déjà contribué à la réinsertion de dizaines de milliers de chômeurs en favorisant ce type de prêts sociaux. Mais contrairement à ce qui se produit à Kedonganan, l’ADIE n’est pas rentable et doit sans cesse bénéficier de financements extérieurs pour continuer son action qui reste cantonnée au domaine du social. A des années-lumière de la réussite dont peuvent s’enorgueillir les pêcheurs de Kedonganan. Pourquoi ? Ketut Madra a peut-être une réponse : « La seule approche possible pour la réussite d’un tel projet, c’est une approche culturelle, pas une approche comptable. » A méditer.

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