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Frapper à la porte du paradis

A vingt ans, il courait après « la Paradis » mais c’est finalement le paradis qui l’a rattrapé. Clément Ratelle, rendu célèbre par cette chanson qui racontait ses déboires amoureux avec une certaine « Mademoiselle Paradis », est établi à Bali depuis dix-sept ans. Il vit à Ubud, loin de ce monde du spectacle qu’il n’aime guère, avec ses livres, ses guitares et son studio d’enregistrement, toujours prêt à parler de sa passion pour Brassens, Brel ou Dylan avec les voyageurs qui font une pause dans son café.

Clément Ratelle est un auteur heureux. Il vit avec sa muse à la source même de son inspiration. Il explique qu’il a « tout de suite écrit » lorsqu’il est arrivé à Bali pour la première fois en 1988. « Les chansons viennent d’elles mêmes et parlent d’autres choses », précise-t-il, se rappelant le « choc » de la découverte de l’île après un bref passage par Bangkok. C’est un ami québécois qui lui a parlé de Bali pour la première fois, lors du festival de Nyon en Suisse où Clément se produisait.

A cette époque, le chanteur tourne en Europe et se remet difficilement d’une séparation. Il décide d’aller voir lui-même cette terre d’Asie qui semble « très belle, très exotique » dans la bouche de son ami. Pour celui qui chante « Partir pour partir » et qui s’est bâti une solide réputation d’artiste itinérant avec sa guitare sur le dos, ce voyage vers Bali va avoir la magie d’un éden qu’on explore pour la première fois. « Je suis transporté par la chaleur, par les gens », atteste le chanteur originaire de Montréal.

Les bienfaits du climat sont appréciables pour ce grand gaillard venu du froid. Mais c’est surtout la rencontre avec la chanteuse de dangdut Nini Carinih, avec qui il se marie et a une petite fille chaleureusement prénommée Marie-Soleil, qui va transformer sa vie d’homme et de compositeur. Aujourd’hui divorcé d’avec la belle, partie faire carrière à Jakarta, Clément assume l’héritage de cette union de plusieurs années par des apports de cette musique populaire indonésienne dans ses propres compositions.

« A Bali, je suis devenu plus sensible. Cette énergie-là, je la transmets quand je chante », poursuit cet homme un peu timide qui s’est toujours dit « peu à l’aise avec son personnage public » et « pas attiré par le show-business et l’argent ». Il sourit maintenant de la panoplie de routard séducteur que l’industrie du disque avait essayé vainement de lui faire endosser à ses débuts dans les années 70-80 et rappelle qu’il a toujours eu besoin d’une vie affective « stable », notamment en tournée.

En véritable homme de lettres, Clément n’a pu se séparer de ses livres. Des ouvrages qu’il a accumulés pendant toutes ses années d’artiste sur la route et seuls biens matériels auxquels il est attaché. Conscient que sa collection serait un vrai trésor à faire partager aux francophones de Bali, il commence à les faire venir petit à petit du Canada. Aujourd’hui, sa bibliothèque est riche de 1000 ouvrages. On y trouve beaucoup de recueils de poésie, mais aussi nombre de romans, des livres sur la technique de la langue française qui nous donne une indication sur le soin qu’il apporte à l’écriture de ses chansons, tout un choix de livres sur Bali, souvent en anglais car peu de livres en français existent sur le sujet, des recueils de chansons, mais aussi des cartes routières et des livres d’art.

L’idée est venue du manque. Les livres sont rares en Indonésie, encore plus rares dans la langue de Voltaire, et le choix proposé chez les quelques bouquinistes de Kuta ne couvre que l’éventail limité de la littérature de vacances anglo-saxonne tombée des charters en provenance d’Australie. Finalement, Clément trouve l’endroit idéal pour son projet de café librairie au 49 rue Hanoman, une petite artère assez fréquentée d’Ubud. Le lieu est agréable, décoré élégamment bien qu’à petit budget. Un seul et unique arbre a servi à fabriquer les étagères, le mobilier et le plancher, précise le maître des lieux avec fierté.

Cette image idyllique de l’artiste qui a trouvé la sérénité en Asie a malheureusement été terriblement altérée par l’attentat islamiste du 12 octobre 2002. Présent à Kuta la nuit de l’explosion, Clément se porte volontaire et se rend spontanément à l’hôpital public de Denpasar où les corps des victimes sont amenés les uns après les autres. Là, il rencontre le consul de France, nouvellement en poste et sans moyen de transport. Il va le conduire toute la nuit à moto pour l’aider à chercher les français « encore vivants ou morts » dans la panique générale de cette nuit d’horreur.

Traumatisé par ce qu’il a vu, les larmes lui viennent encore aux yeux en évoquant ce souvenir cauchemardesque. Il écrit une chanson quelques jours après l’attentat sur la mélodie de « Aku tak biasa », un air très populaire de la jolie chanteuse Mayangsari. Comme à son habitude, Clément teste sa chanson guitare à la main à qui veut bien l’écouter et il s’aperçoit que son texte extrêmement juste bouleverse instantanément les auditeurs. « La chanson a eu de l’impact sur les gens et j’ai repris le goût de faire des concerts », explique-t-il aujourd’hui.

Depuis, il est allé plusieurs fois à Québec pour des concerts où ses compositions « indonésiennes » ont été remarquablement bien accueillies par son public. « Bali a agrandi ma palette de couleurs », dit-il sobrement avant de confier qu’il travaille sur un nouvel album depuis déjà plusieurs mois grâce au soutien d’amis québécois. Les chansons sont prêtes à suivre le chemin du studio et l’homme se dit également prêt à repartir sur la route pour les chanter. D’ailleurs, « Puisqu’il faut partir », n’est-il pas le refrain d’une de ses nouvelles compositions ?

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