Accueil Portraits

Course écologique contre la montre à Raja Ampat

Le biologiste franco-américain n’y va pas par quatre chemins. Les déprédations causées par l’être humain en Indonésie sont d’une telle ampleur et se produisent à une telle rapidité que les organisations de protection de la nature en sont désormais réduites à « tenter de sauver ce qui peut encore l’être ». Tel est le cas de l’archipel Raja Ampat, un vaste ensemble de quatre îles principales et d’une myriade d’îlots à l’ouest de la Papouasie indonésienne, qui est considéré comme le cœur du « Triangle de Corail ». Ainsi nommé par les scientifiques, cet espace est constitué de trois écorégions, Sulu-Célèbes, Bismarck-Salomon et Florès-Banda, et s’étend sur la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, la Papouasie-Nouvelle Guinée et les Iles Salomon. « Raja Ampat possède 75% de toutes les espèces de coraux connues, et avec plus de 1200 espèces de poissons c’est de loin le champion toute catégorie de la biodiversité marine », explique ce spécialiste des chéloniens, basé à Bali depuis 2003.

« Tout les organisations écologistes sont là-bas », poursuit Geoffrey Gearheart qui rappelle que l’intérêt scientifique de cette zone est « une découverte récente qui remonte à 2001-2002 tout au plus » confirmant ainsi cette appréciation qui veut que la Papouasie soit « la dernière frontière du 21è siècle ». Fort de cette constatation, Conservation International, qui est financé par de riches américains défenseurs de la nature, tels Harrison Ford, Gordon Moore ou Rob Walton, a lancé un programme de sauvegarde de plusieurs sites depuis ces dernières années. Relayée sur place par l’ONG locale Papua Sea Turtle Foudation (PSTF), la fondation commence à enregistrer quelques succès indiscutables, principalement sur l’île de Piai. En 2006, des patrouilles ont commencé à faire de la surveillance. Constituées d’une douzaine d’hommes, quelquefois d’anciens pêcheurs de tortue eux-mêmes, ces rondes empêchent le braconnage des tortues et de leurs oeufs et ont permis à l’île de Piai de redevenir un havre de paix pour ces animaux.

Cette île a été déclarée « zone marine protégée » en moins d’un an, et les îles de Sayang et Wayag bénéficient aussi de cette appellation depuis décembre 2006. PSTF, qui est dirigé par l’Indonésien Ferdiel Ballamu, a construit un poste de surveillance, équipé d’une radio, et utilise deux speed-boats pour la garde des nombreuses criques. « Les Papous veulent maintenant contrôler leur environnement et ses ressources », explique Geoffrey Gearheart. Les bateaux Bugis, peuple des Célèbes connus dans tout l’archipel indonésien pour pêcher à l’explosif, et les bateaux destinés au marché balinais de la viande de tortue (cf. La Gazette de Bali n°11 – avril 2006, La Gazette de Bali n°21 – février 2007), ont l’habitude de croiser dans ces eaux. Face à ces criminels organisés, qui soudoient les autorités locales pour pouvoir se livrer à leurs activités juteuses, les patrouilleurs de PSTF n’ont pas hésité à se fabriquer eux-mêmes des faux fusils M16 en bois afin de tenter de les impressionner.

Les pêcheurs de requins constituent aussi une menace redoutable pour les écosystèmes de Raja Ampat et indirectement pour les tortues. « A cause de leurs méthodes de pêche », explique le biologiste. Soit ils posent un filet de fond de deux kilomètres qui ramasse tout sur son passage, y compris les tortues, soit ils pêchent avec une longue ligne, qui emmène des centaines d’hameçons avec des appâts de… foie de tortues. « Et quand ils ne trouvent pas de tortues, ils pêchent du poisson à la dynamite dans les lagons pour faire leurs appâts », ajoute Geoffrey Gearheart. Enfin, dans les restaurants chinois, il n’y a pas que les ailerons de requins qui soient prisés de nos jours, le plastron des carapaces est aussi préparé en « chips », explique le biologiste. Il est donc fréquent de trouver des restes du reptile avec le ventre découpé. Certaines plages de Piai étaient d’ailleurs de véritables abattoirs à tortues avant que PSTF ne patrouille.

Cette action sur le terrain ne pourrait exister sans volonté politique et participation de la population. « En Papouasie, il faut travailler avec les clans, le bupati seul ne peut pas tout faire », commente Geoffrey Gearheart qui reconnaît passer la majorité de son temps à faire de la protection plutôt que de l’étude scientifique. « Il faut aussi expliquer aux villageois les bonnes raisons de protéger les tortues et les coraux, avec des arguments simples qui se réfèrent à leurs univers de pêche », précise-t-il. La priorité reste cependant les autorités locales. La loi d’autonomie régionale a constitué « un véritable désastre pour l’écologie de l’Indonésie », ajoute le biologiste, avec l’émergence de milliers de baronets locaux plus enclins à s’enrichir pendant leur mandat qu’à gérer correctement le patrimoine naturel de leur circonscription.

Dans le temps qui lui reste, Geoffrey Gearheart fait de la cartographie, des études génétiques, et observe l’évolution géographique des espèces, essentiellement des tortues vertes et à écailles, en leur posant des balises Argos sur la carapace. « Cela est très utile pour les programmes de protection d’une île à l’autre », poursuit-il. « Le système de navigation de la tortue est encore inconnu », s’émerveille cet idéaliste pragmatique, qui se compare à « un médecin de campagne » au chevet d’îles malades. Baptisé « Monsieur Tortue » de cette solide équipe de scientifiques envoyés à Raja Ampat par Conservation International, Geoffrey Gearheart précise que ce programme marin est une nouveauté pour la fondation américaine et de son succès dépendront d’autres actions à venir. Les généreux donateurs, qui sont parmi les gens les plus riches du monde, aiment avoir des résultats concrets. Ils viennent donc souvent constater par eux-mêmes les progrès, d’un coup de jet privé, et ne sont pas du genre à se contenter d’assommants rapports annuels d’activité…

LAISSER UNE RÉPONSE

Please enter your comment!
Please enter your name here