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Aventurier des arts et lettres

Jean Couteau a la mise élégante des personnages balzaciens. Chemise blanche à col ras-du-cou et à manches larges, catogan pour tenir ses cheveux châtains mi-longs, sa stature d’un autre temps lui donne incontestablement une allure romanesque. A 59 ans, ce docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, a passé la moitié de sa vie à Bali. En Indonésie, en France, mais aussi dans les milieux universitaires de langue anglaise, particulièrement en Australie, il est souvent présenté comme le spécialiste de la culture balinaise. Il est vrai que Jean Couteau écrit avec la même aisance en français, en indonésien et en anglais et ses nombreux ouvrages sont maintenant connus dans le monde entier.

Né en pays nantais, Jean Couteau est issu d’une famille aisée de « bourgeois éclairés ». Son père est vétérinaire et sa mère artiste peintre. Ancien soixante-huitard, dans la mouvance trotskiste, il habite à Paris pour ses études et vit en direct les événements qui marquent sa génération. Jean Couteau a découvert Bali pendant sa lune de miel en 1971 et se souvient de « l’homogénéité » de l’île et de ses habitants. « C’était le Bali des villages, structuré autour des espaces agraires, il n’y avait pas de route, c’était le mythe », explique-t-il aujourd’hui dans sa maison du nord de Denpasar. En dehors de toute « justification intellectuelle », Jean Couteau se rappelle avant tout de « la séduction des sens » pour expliquer son coup de foudre pour Bali. C’est une époque ou il dispose de l’argent familial et, de son propre aveu, il ne fait rien… Comme beaucoup d’autres de sa génération, il a déjà pas mal voyagé en Asie. Le jeune ethno-sociologue, redevenu célibataire, « traîne de warung en losmen » et écrit un peu en français ». C’est une période de fuite, explique-t-il. Les fonds familiaux finissent par manquer. Heureusement, il trouve une place de conférencier au Club Med, qui lui donne « une piaule sur place ». Il y fera la rencontre de Jacques Attali, alors en vacances, et ce sera le départ d’une amitié avec le conseiller du président Mitterrand. « Maintenant, Bali fait partie de mon psychisme », ajoute-t-il en guise d’épilogue à ces années d’errance.

La notoriété va commencer quand son ami Usadhi Wiryatnaya lui propose de créer dans le Bali Post, quotidien balinais en langue indonésienne, un « English Corner », une page rédigée en anglais où le sociologue français et d’autres intellectuels indonésiens vont raconter le quotidien de Bali sous formes de petites histoires. Avant ça, Jean Couteau avait fondé la revue « Archipelago », mais l’opération fut un échec commercial. L’aventure des chroniques du Bali Post est par contre restée dans les mémoires et bénéficie aujourd’hui de la réédition d’un premier volet aux éditions Gramedia regroupant les thèmes de la modernité, du tourisme et de la sexualité. Deux autres volumes sont prévus.

L’English Corner avait pourtant connu une fin abrupte en 1994, abandonné soudainement à la suite d’une chronique qui avait déplu fortement à une organisation musulmane. Le papier relatait l’histoire de marchands javanais musulmans du 16e siècle qui ont laissé des traces de leurs passages à Bali jusque dans une pratique religieuse encore présente aujourd’hui où ils sont célébrés comme des ancêtres fondateurs balinais. La chronique était également accompagnée d’un dessin humoristique de Wayan Sadha, le célèbre dessinateur de Jimbaran, ami de longue date de l’ethnologue français. Estimant que l’article et le dessin étaient une insulte à l’islam, l’organisation musulmane a obtenu instantanément la liquidation de la rubrique de Jean Couteau.

Huit ans après, les rapports entre Bali et l’islam ont pris un tour dramatique. « Dieux merci, il n’y a pas eu de morts balinais », s’exclame-t-il les yeux au ciel en évoquant les récents attentats islamistes. L’historien de Bali, qui parle aussi le javanais ancien, nous rappelle qu’avant, « il n’y avait pas de problèmes entre l’islam et l’hindouisme » et cite en exemple cette tradition ancienne qui voulait que des musulmans prennent pour épouses des Balinaises et inversement. Plus récemment, Jean Couteau rappelle que des musulmans participaient aux cérémonies balinaises. « Depuis peu, la radicalisation de l’islam empêche cela », précise-t-il. De l’autre côté, les Balinais sont également en train de succomber à une crispation identitaire et l’ethnologue exprime son pessimisme : « Avant, les Balinais avaient un préjugé positif vis-à-vis de l’autre, maintenant ça a changé ».

Jean Couteau n’apprécie rien tant que de bavarder avec ses amis indonésiens à la maison et rappelle qu’en tant « qu’homme de compromis », il se sent « très à l’aise en Indonésie », pays où la retenue est une forme de politesse. Marié à une Sumatranaise, avec qui il a deux enfants, il partage désormais son temps entre l’Australie, ou sa femme étudie, et l’Indonésie. Traducteur en indonésien de Jean-Paul Sartre, Michel Foucault et Michel Picard, il écrit aussi régulièrement dans la presse locale, préface en ce moment une collection de nouvelles indonésiennes et fait aussi le nègre pour une personnalité de Jakarta. Eminent critique d’art, spécialiste de la peinture d’Ubud, il préside également à des présentations de collections pour des revues ou des musées et prépare un livre sur le sculpteur Tilem. Aujourd’hui, Jean Couteau est un homme très occupé qui vit « des enveloppes » que ses bienfaiteurs lui remettent et rappelle avec humour qu’il en était ainsi des intellectuels dans l’Europe du 19e siècle.

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