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Alerte au bradage des forêts protégées indonésiennes

Trois cents terrains de football toutes les heures ou la Suisse tous les ans. C’est l’ordre de grandeur de la déforestation en Indonésie. Ce qui accorde officiellement au pays le très peu enviable record du monde de la destruction la plus rapide des forêts entre 2000 et 2005, et fait de l’archipel le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre derrière les « intouchables », Etats-Unis et Chine. Pour prendre conscience du phénomène, on pouvait se rendre dans les derniers mois de 2007 dans la province de Riau, sur l’île de Sumatra, où Greenpeace avait installé provisoirement un « Camp des défenseurs de la forêt ». Ce camp faisait face à un vaste espace défriché de 10.000 hectares, ancienne forêt dont les arbres ont été coupés, le reste brûlé pour assécher le terrain et ainsi préparer la plantation prochaine de palmiers à huile. La province de Riau ne fut évidemment pas choisie au hasard par les militants écologistes. A elle seule, la petite province regroupe un quart des plantations de palmiers à huile de l’Indonésie, et les plans d’expansion future prévoient de couvrir la moitié de la province de ces arbres à forte valeur ajoutée.

Car l’huile de palme est le nouvel or « vert ». Nous en consommons tous les jours dans notre nourriture, nos cosmétiques, nos dentifrices et même nos biocarburants. Mais à un prix écologique impressionnant. Quand la moitié de la province de Riau sera effectivement recouverte de palmiers ce sont près de quinze milliards de tonnes de carbone qui auront été rejetées dans l’atmosphère, soit l’équivalent d’une année d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde. L’Indonésie est devenue le premier producteur mondial d’huile de palme, en tirant des revenus considérables, au détriment de l’équilibre environnemental mondial et même des populations locales. Celles-ci se voient souvent dépossédées de leurs terres sans compensation, et sans solution face à la coalition que forment souvent les entreprises d’exploitation forestière et certaines autorités locales.

L’exemple de l’huile de palme est révélateur d’une certaine philosophie et de certaines pratiques. Pourtant, en accueillant la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique en décembre dernier, l’Indonésie semblait vouloir donner au monde un autre exemple. L’archipel donnait l’impression de vouloir prendre la tête des pays en développement dans la lutte contre le réchauffement de la planète, et en premier lieu contre la déforestation. La déclaration finale de la Conférence incluait ainsi très clairement le rôle majeur des forêts dans le stockage et la rétention de carbone, et dès lors l’importance de préserver les forêts de la destruction. C’était il y a quelques mois seulement mais la donne semble déjà avoir changé. Le gouvernement indonésien vient en effet de rendre publique une décision autorisant les compagnies minières à opérer dans des forêts protégées contre compensation financière. Une décision étonnante, que le montant de la compensation seule n’explique pas puisqu’il n’en coûtera qu’environ 300 US dollars par hectare de forêt aux sociétés intéressées.

La loi indonésienne sur les forêts de 1999 interdit en principe toute exploitation commerciale et toute activité exploratoire dans les forêts protégées, donc toute activité minière. Pourtant, treize entreprises y opèrent actuellement légalement. En 2004, le gouvernement de Megawati avait en effet autorisé ces entreprises à continuer leurs activités parce qu’elles avaient débuté avant la mise en application de la loi de 1999. C’est cet argument du « décret Megawati » qu’utilise le gouvernement aujourd’hui pour légitimer sa décision. Mais le risque est grand de voir bientôt d’autres entreprises minières autorisées à acheter, puis exploiter, leur espace protégé.

Jusqu’à maintenant, ces treize entreprises avaient pour obligation de trouver et proposer de nouvelles terres pour compenser celles qu’elles utilisaient dans les forêts. « Mais, comme l’explique Ahmad Fauzi, porte parole du Ministère indonésien de la Forêt, il est devenu impossible de trouver de nouvelles terres disponibles pour replanter les forêts que ces compagnies utilisent. On ne peut pas faire de lois qui ne sont pas applicables, le public ne le comprendrait pas. Donc avec ce nouveau décret, les entreprises minières payent un fonds de compensation qui sera utilisé pour replanter des forêts ». Le Ministère consent donc qu’il est impossible aux compagnies de trouver de nouvelles terres mais s’engage lui à en trouver…

Les réactions d’opposition à cette décision sont quasiment unanimes. Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) indonésiennes liées à l’environnement sont scandalisées. Certaines d’entre elles vont même jusqu’à voir la patte du Vice Président Alla ou d’Aburizal Bakrie dans cette histoire, les deux hommes ayant des intérêts dans ces secteurs d’activité. Selon un membre de la Commission Européenne en poste à Jakarta, « il s’agit d’une loi inquiétante. On est en droit de se demander si l’argent récupéré va effectivement être utilisé pour le reboisement ? Le Ministère des forêts perd de la crédibilité, entraînant avec lui le Président Yudhoyono, dont l’élection avait soulevé l’enthousiasme. Cet élan est retombé. Désormais, il apparaît clairement que les priorités de l’Indonésie sont les revenus que l’industrie forestière rapporte au gouvernement ».

Le Mouvement de Réhabilitation Nationale, lancé en 2003 et destiné à restaurer cinq millions d’hectares de forêts d’ici 2009, semble désormais bien loin. Bien loin aussi le discours du Président indonésien lors du dernier jour de la Conférence de Bali sur le Changement climatique, qui exhortait les participants à se mettre d’accord pour la survie de notre planète et de ses générations futures. L’Indonésie et ses décideurs semblent se tourner vers la seule logique du profit. La planète a un prix que le gouvernement n’apparaît pas prêt à payer.

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