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Un soufi découvre l’Islam des Indonésiens

« Si l’islam est un corps, alors le soufisme est son cœur », affirme cet homme de 57 ans au comportement volubile et au visage souriant. Présent depuis un mois sur le sol indonésien, il n’en revient pas d’avoir découvert cette région et ses habitants. En venant ici, il s’est rendu compte qu’en Europe ou au Maghreb, « on se sait rien de ce pays multiconfessionnel si tolérant, où les musulmans sont majoritaires ». Enthousiasme de celui qui découvre, certes, et ne connaît que partiellement les problèmes qui opposent certaines communautés, mais aussi intérêt véritable pour une nation « qui pourrait servir d’exemple d’harmonie interconfessionnelle en ces temps de crise entre l’Islam et l’Occident ».

La confrérie a envoyé de l’aide à Bebekan, un village détruit par le tremblement de terre qui a frappé le centre de Java en mai dernier. Une partie du séjour de Cheikh Khaled a consisté à rencontrer les bénéficiaires de l’aide transmise par son association. Un souvenir inoubliable pour ce chef spirituel dont la chaîne des prédécesseurs remonte à l’ère du Prophète. « Ils ont tout perdu, mais ils sont intacts, devant nous, ils ne montrent pas leurs traumatismes », raconte-t-il, encore ému de cette rencontre avec les gens modestes de la campagne javanaise. Dans la mosquée aux murs encore lézardés par le séisme, c’est avec les femmes et les enfants du village qu’on l’a invité à prier. A la porte de l’édifice religieux, une pancarte rendait hommage à la présence de l’illustre visiteur.

Ecrivain, enseignant, maître de conférence, Cheikh Khaled est une figure incontournable du soufisme et de l’Islam en Europe et en Afrique du Nord. Toute sa vie, il a été impliqué dans l’action sociale et culturelle, à la fois en France, en Belgique, en Suisse, au Maroc et en Algérie. Depuis l’an 2000, il a participé à la mise en place du Conseil Français du Culte Musulman et est encore aujourd’hui un des membres de ce cabinet qui travaille avec Nicolas Sarkozy sur le dossier des banlieues. Cheikh Khaled est aussi le fondateur des Scouts Musulmans de France, reconnu par le Ministère de la Jeunesse et des Sports et les instances mondiales du scoutisme.

Ici, Cheikh Khaled n’a pas manqué de remarquer que la grande mosquée de Jakarta, « voisine la cathédrale en toute harmonie ». De l’une, on peut entendre les prières qu’on dit dans l’autre. Elle a été construite par un architecte non musulman et « toutes les côtés de l’édifice représentent des chiffres symboles de l’islam ou de la république Indonésienne », poursuit-il, passionné. Le jour de sa visite, il a pu assister à la répétition de la fanfare féminine qui se préparait à la célébration d’Idul Fitri. « Des majorettes pour marquer la fin du jeun, je n’ai encore jamais vu ça dans aucun pays musulman », s’étonne-t-il avec un sourire radieux.

Animateur assidu de rencontres interreligieuses dans de nombreux pays, sous l’égide de l’UNESCO ou de gouvernements, Cheikh Khaled a été reçu par le pape Jean-Paul II en 1989. Fondateur de l’association Terres d’Europe, qui se propose nouer un lien solide entre l’Islam et l’Occident, il a toujours travaillé à promouvoir le dialogue et la réconciliation. Plutôt que le « fameux choc des civilisations » souvent invoqué pour expliquer le malaise qui règne aujourd’hui entre ces deux mondes, il préfère parler de « choc des ignorances ». Son livre, « Le Soufisme, Cœur de l’Islam », qui vient d’être présenté à Ubud témoigne des notions de paix, d’amour et de dialogue qu’il promeut inlassablement à travers le soufisme.
« Les hommes et les femmes vont ensemble à la mosquée ici, c’est unique dans le monde musulman », poursuit-il au sujet de son séjour à Jakarta. Il y a rencontré l’ancien président indonésien Gus Dur, également leader de l’organisation musulmane Nahdlatul Ulama. Ce dernier est connu pour son attitude anticonformiste, comme son rejet de la loi anti-pornographie ou ses prises de position en faveur de la communauté chrétienne, cible régulière des attaques des musulmans radicaux. Les deux hommes partagent les mêmes valeurs de progrès et de tolérance. Invité à dialoguer avec les étudiants d’une université catholique, Cheikh Khaled s’est encore étonné d’y trouver une salle de prière pour les musulmans. Plus incroyable encore, « dans cette salle se trouvaient ensemble un crucifix et des tapis de prière », poursuit-il.
« Il faut faire connaître tout ça aux musulmans du monde entier », s’enthousiasme encore le maître soufi qui projette de revenir pour tourner un film qui présenterait les particularités de l’islam indonésien. Seul bémol à la joie de ce voyage, le constat alarmant que tout un chacun peut faire devant les innombrables problèmes environnementaux du pays. « Les rivières sont comme des poubelles ici », s’attriste-t-il.

Cheikh Khaled a participé à de nombreuses conférences sur l’écologie, notamment lors du 5e Symposium International sur l’Eau au cours duquel il a développé une réflexion sur « l’eau, la société et les symboles ».
Enfin, à Bali, Cheikh Khaled s’est beaucoup interrogé sur les dommages causés par les attentats islamistes de 2002 et 2005. Il a également noté que des fonds d’origine saoudienne servaient à construire ici et là ces universités qui sont le vecteur habituel de la propagation des idées fondamentalistes dans le monde musulman. Fidèles à leur doctrine de tolérance et de savoir, les soufis ont toujours été des liens entre les peuples, persuadés qu’ils sont que la diversité des cultures, des religions et des philosophies est une grâce de Dieu. « Le culte pour le culte, ça ne sert à rien », conclut Cheikh Khaled, renvoyant ainsi les intégristes du monde entier dos à dos.

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