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L’indonésie peut-elle monnayer la conservation de ses forêts ?

Les forêts tropicales reculent au
rythme annuel de 58 000 km2 soit
l’équivalent d’un pays comme la Croatie
en termes de surface. Selon le Groupe
intergouvernemental sur l’évolution du
climat, ce déboisement ou déforestation
rejette dans l’atmosphère entre 12
et 20% des émissions mondiales de
gaz à effet de serre. La conservation
des forêts tropicales représente donc
un enjeu majeur dans la lutte contre
les changements climatiques. Pour
stopper la déforestation, la communauté
internationale réfléchit à l’instauration
d’un mécanisme financier afin de
rentabiliser les forêts encore debout.
Ce mécanisme s’appelle REDD, pour
« Reducing Emissions from Deforestation and
Degradation ». En français « mécanisme de
déforestation évitée ». Il découle d’un
constat : la déforestation est d’ordre
économique, les forêts sont aujourd’hui
plus profitables mortes que vivantes
car la demande en terres agricoles est
forte. Pour inverser la tendance, les pays
qui parviendront à stopper le recul de
leurs forêts bénéficieront d’un stock
de déforestation évitée qu’ils pourront
vendre sous la forme de crédits carbone
sur les marchés financiers internationaux.
Parallèlement, les industries qui ne
pourront pas réduire leurs émissions
de gaz à effet de serre au-dessous d’un
certain quota pourront compenser
leurs émissions en achetant ces crédits
carbone, en quelque sorte un droit à
polluer.

Les forêts de l’archipel indonésien
constituent le troisième écosystème
forestier tropical de la planète en termes
de superficie après celles de l’Amazonie
et du bassin congolais. A ce titre, elles
représentent un enjeu de premier plan
pour les investissements REDD à venir.
Evaluées à 1,7 millions km2 il y a un
siècle, les forêts d’Indonésie couvrent
aujourd’hui 0,8-0,9 millions km2. Elles
reculent aujourd’hui au rythme annuel
de 7500-15000 km2, ce qui positionne
l’Indonésie parmi les plus gros pollueurs
de la planète derrière les Etats-Unis et
la Chine.

Le gouvernement indonésien comprend
bien l’importance des forêts
indonésiennes dans la lutte contre les
changements climatiques. Il s’est récemment
positionné comme un acteur
et supporteur important du mécanisme
REDD. Déjà de nombreuses initiatives
REDD émergent dans l’archipel.
Cependant, comme nul ne sait si les
revenus REDD pourront rivaliser avec
les profits générés par les plantations,
le gouvernement continue à autoriser
l’expansion des plantations, notamment
le palmier à huile au détriment
des forêts naturelles. Il est donc fort
probable que le mécanisme REDD sera
implanté dans des zones restreintes de l’archipel par le biais de création de
nouvelles aires protégées labélisées
REDD. Sur les 20 projets REDD déjà
en court en Indonésie, le plus large
couvre une surface totale de 9700 km2.
On est loin des 0,8-0,9 millions km2
à protéger. Demandons-nous alors si
REDD pourra réellement ralentir la
déforestation ?

La banque Merril Lynch, désormais Bank
of America y croit. En décembre 2008, la
banque a investi 9 millions de dollars dans
le premier projet REDD d’Indonésie.
Ce projet implique le gouvernement
provincial d’Aceh, la société australienne
Carbon Conservation, spécialisée dans
les échanges de crédits carbone, et
l’ONG britannique de préservation
de la nature Fauna Flora International. Tous espèrent protéger les forêts sur
une surface de 7500 km2 dans la province
d’Aceh par la vente de crédits carbone.
Selon les autorités locales, l’accord
devrait ralentir la déforestation dans la
province d’Aceh et ainsi éviter l’émission
de 100 millions de tonnes de gaz à effet
de serre, ce qui pourrait générer jusqu’à
432 millions de dollars sur les trente
prochaines années.

Or, nous montrons dans notre dernière
étude, récemment publiée dans la revue
scientifique Environmental Research
Letter* que ce projet REDD ne ralentira
pas le recul des forêts d’Aceh qui se
reduisent actuellement au rythme de
206 km2 par an. Alors que le projet
évitera la déforestation de 1300 km2
de forêt dans son sein d’ici à 2030,
parallèlement six fois plus de forêts (7900
km2) pourraient être déboisées dans les plaines hors projet à cause de l’expansion
du palmier à huile et de la construction de
nombreuses nouvelles routes. Les forêts
du projet sont principalement situées
dans des zones montagneuses souvent
inaccessibles et donc peu menacées par
la déforestation. Dans le même temps,
de nombreuses forêts de plaine, très
menacées par la déforestation resteront
hors projet et sans protection alors
qu’elles sont très efficaces contre les
émissions et riches d’espèces d’animaux
tel l’orang-outang de Sumatra, race
endémique de la région.

En effet, le gouvernement provincial
envoie des signaux contradictoires :
s’il a accueilli le premier projet REDD
d’Indonésie, se posant ainsi en fer de
lance de la lutte contre la déforestation, il autorise dans le même temps l’expansion
du palmier à huile dans les plaines, ainsi que
la construction de nombreuses nouvelles
routes qui serviront au transport de
l’huile de palme. Ce scénario risque
d’anéantir environ 25% (1500 individus)
de la population actuelle d’orangsoutangs
estimée à 6600 animaux, avec
ou sans projet REDD.

Pour réellement stopper la déforestation
à Aceh, en Indonésie et dans le reste
du monde tropical et ainsi réduire les
émissions de gaz à effet de serre de
façon substantielle, il faudrait implanter
le mécanisme REDD à grande échelle au
niveau des provinces ou des Etats. Pour
cela, il faudrait que les revenus REDD
puissent rivaliser avec les profits générés
par les plantations, ce qui inciterait les
gouvernements à cesser d’autoriser
l’expansion des plantations au détriment
des forêts naturelles. Or, nul aujourd’hui
ne peut affirmer si les revenus tirés de
la vente des crédits carbone pourront
rivaliser avec les profits générés par les
plantations agricoles. Tant que la demande
en matières agricoles comme l’huile de
palme restera forte, il est fort à parier
que la conversion des forêts tropicales en
plantations sera plus profitable que leur
conservation. Dès lors, la déforestation
ne ralentira pas.

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