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L’HOMME QUI VOULUT ETRE COLLECTIONNEUR DE BIJOUX

Manfred Giehmann, Parisien de 62 ans, a passé quasiment toute sa vie à collectionner des bijoux tribaux achetés dans l’archipel indonésien. Aujourd’hui, alors qu’il prépare un livre sur son inestimable collection, il recense pour la Gazette de Bali les éléments de cette mémoire et de ce savoir-faire artisanal condamnés à disparaître…

Manfred Giehmann a presque l’allure d’un héros de Ruyard Kipling. Il en partage en tout cas la vie d’aventures et la force de projeter ses rêves. Désormais retraité, ce Français a donc rêvé de l’Indonésie depuis l’enfance, rêvé de péripéties au bout du monde, de forêts primaires, de tribus perdues et de souvenirs à rapporter comme autant de trophées. Et quand on rêve des contrées reculées de notre planète, quoi de plus logique que d’embrasser le métier de géographe ? C’est donc pour cartographier les confins de l’île de Bornéo pour la Comex qu’il débarque pour une première mission dans les années 70. « Bornéo, c’était exactement la réalisation d’un rêve d’enfance. Depuis que j’avais reçu en prix d’excellence à l’école primaire un livre sur une expédition française dans cette île qui attire depuis toujours les aventuriers », se souvient-il.

MANFRED-2Après une vie passée dans la région, il réside aujourd’hui à Bali, Manfred Giehmann a réalisé des missions de cartographie dans presque toutes les zones de l’archipel. L’intérêt pour les bijoux tribaux viendra de lui-même, naturellement, au fur et à mesure des rencontres et découvertes, sans idée préalable. C’est donc à Bornéo qu’il achète son premier collier. Un collier de perles de Venise, ces perles de pacotille utilisé pour le troc par les premiers marchands, mélangées à des perles de Chine et d’Inde. Cette rencontre avec les Dayaks de Bornéo lui donne alors l’envie de rencontrer d’autres minorités et d’acquérir d’autres pièces. Manfred Giehmann en possède aujourd’hui 2000. « Je crois que nous ne sommes qu’une petite vingtaine au monde a collectionner les bijoux indonésiens », ajoute-t-il.

Le livre qui est en préparation et qui sera intitulé « Ethnic Jewellery of Indonesia », aux éditions EDM (sortie prévue en 2011), ne présente que 500 pièces. En provenance de sept régions de l’archipel – Sumatra, Kalimantan, Célèbes, NTB, NTT, Moluques, Timor, plus le Timor Leste – les bijoux présentés dans l’ouvrage proviennent d’une trentaine de groupes ethniques et seront documentés notamment par Bernard Sellato (cf. La Gazette de Bali n°37 – juin 2008). Les productions de Java et Bali, archi-connues, ont été exclues, ainsi que celles de Papua « à cause de leur caractère plus primitif et également éphémère », explique le cartographe. Selon lui, il n’y a pas de caractéristiques particulières à la production de bijoux dans l’archipel indonésien si ce n’est son incroyable diversité. « Il y a une extraordinaire variété de matériaux employés et beaucoup de mélange de ces matériaux », explique celui qui connaît également sur le bout des doigts les histoires liées à ces parures et ornements.

MANFRED-4Comme ces bijoux en bois et or martelé du pays Toraja qu’on ne sort que pour les funérailles. « Dans cette région de Célèbes, on trouve de l’or, beaucoup d’or, il y a une véritable fascination pour ce métal », commente Manfred Giehmann. On y porte ces ornements de façon rituelle, pas au quotidien. « Ils appartiennent à la communauté. Les riches, qui possèdent toutefois les plus belles pièces, n’en sont que les dépositaires », ajoute le collectionneur. L’or, on en trouvait aussi à Timor et ce, même avant l’arrivée des Portugais. Ces derniers ont apporté des défenses d’éléphants du Mozambique et de l’argent de Goa. « Ils échangeaient tout ça contre du bois de santal », précise-t-il encore. Les chefs de tribu portaient au cou une lune d’or montée en collier. Mais à Timor, on trouve surtout la plus belle bijouterie d’argent de toute l’Indonésie, dixit Manfred Giehmann. C’est à Tanimbar qu’on trouve les bijoux en or les plus chers du pays, devant ceux de l’île de Nias. « Là, l’or a été importé », précise-t-il.

Direction Sumatra, où les Minang sont considérés par les rares spécialistes de cet artisanat négligé par l’Indonésie elle-même, comme les plus grands artisans bijoutiers. Lampung encore où on a toujours suivi les modes et composé avec toutes sortes d’apports extérieurs, portugais, indiens et chinois. « Dans cette région, il y a des artisans itinérants. Les gens leur donnaient leurs vieux bijoux à réactualiser à la mode du jour. Il y a donc là encore une incroyable diversité de styles et de matériaux », commente Manfred Giehmann. A Kalimantan, le matériau le plus courant est le bronze. Il est venu du sultanat de Brunei par les marchands chinois. L’argent arrivait du Sarawak et au sud, on trouvait les diamants (cf. La Gazette de Bali n°40 – septembre 2008). Et le cartographe d’énumérer : « On trouve des bijoux en ivoire de Sumatra et de Malaisie sous forme de bracelets chez les Iban, des bijoux en bois, des bouchons d’oreille en pierre et en os, ou encore faits avec des bois de cerfs chez les Dayak et bien sûr ces fameuses « longues oreilles » des femmes qui célèbrent la beauté parfaite. »

MANFRED-5Manfred Giehmann pourrait encore parler pendant des heures des manches de kriss sans lame portés à la taille par les femmes d’Aceh ou encore des cache-sexes en or ou argent des petites filles Bugis. La passion est là, dévorante et suprême. Nous allons bientôt pouvoir la partager avec lui grâce à ce livre qui va constituer un élément de plus dans cette documentation bien trop rare sur les bijoux ethniques de l’archipel. En effet, la république d’Indonésie n’a que faire de toutes ces survivances du passé qu’elle oublie gaiement sur la route du développement. Adam Malik, 3ème vice-président indonésien, a été la seule personnalité à s’être jamais intéressée à cet héritage. Malheureusement, après sa mort en 1984, la collection qu’il avait réuni dans un musée a été dispersée. Le dernière initiative en date revient alors à Manfred Giehmann qui, comme ses pairs, estime que la valeur d’une collection dépend de la documentation qui est faite sur elle. « Sans ce projet de livre, à l’heure actuelle, ma collection ne vaudrait pas ce qu’elle m’a coûté », conclut-il.

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