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A la découverte de nouvelles espèces

On m’envoie souvent des photos d’animaux ou de plantes pour que je les identifie. C’est bien sûr un problème pour quiconque souhaite savoir quels sont tels animaux ou telles plantes car il est impossible de trouver un ouvrage de référence dans une librairie d’ici et encore plus difficile d’identifier quoi que ce soit parmi les millions d’images en ligne. C’est étrange car cet archipel de plus de 17 500 îles qui s’étend sur trois fuseaux horaires recèle pourtant une biodiversité d’une richesse inégalée ailleurs sur la planète. Bornéo et la Nouvelle-Guinée sont particulièrement riches en animaux et plantes à cause de leur grande taille et de leur relativement faible population humaine, même si les espèces endémiques, celles qu’on ne trouve nulle part ailleurs, sont parfois localisées ici sur de très petites îles, comme à Bali.

Les raisons qui expliquent cette particularité sont surtout géographiques. L’Indonésie s’étend le long de la ligne équatoriale où les espèces sont abondantes. Des milliers d’îles, séparées les unes des autres depuis des temps immémoriaux, procurent par conséquent des habitats très variés. Dans les mers ici, il y a plus de types de coraux que n’importe où ailleurs sur la planète. En plus, les introductions accidentelles ou délibérées d’organismes des Amériques, de l’Afrique, de l’Asie continentale et de l’Australie, surtout ceux utilisés dans l’alimentation, ont rallongé de façon conséquente la liste des espèces qu’on trouvait ici. Les pommes de terre, les piments, les lapins et autres mouches ou pucerons sont tous originaires d’ailleurs.

La découverte d’un animal ou d’une plante inconnus de la science a toutes les chances de faire la Une des médias, surtout si la taille est importante, si c’est « mignon », de couleurs vives ou encore représente un risque potentiel de donner des maladies. De « nouvelles » espèces sont découvertes constamment, mais la plupart de ces organismes, comme les insectes ou les araignées, ou d’autres encore plus petits comme les champignons, les bactéries et les virus, ne sont pas assez « sexy » pour recevoir la moindre attention. Alors qu’est-ce qu’une nouvelle espèce ? On dira de façon évidente : un animal ou une plante jamais vus auparavant ! Au 18ème siècle, le biologiste suédois Carl von Linné a commencé à nommer les organismes en fonction de leurs caractéristiques physiques, leur donnant à chacun un nom latin, genre et espèce, en fonction des regroupements catégoriels qu’il établissait. La nomenclature « binominale » de Linné a été utilisée jusqu’à nos jours. Des organismes très voisins étaient définis comme des espèces séparées s’ils ne pouvaient pas se reproduire entre eux, à cause d’incompatibilités sociale ou physique. Des espèces qui ne pouvaient se mélanger à cause de frontières naturelles, comme des montagnes ou des îles, étaient aussi considérées comme différentes.

Certaines créatures sont très difficilement identifiables comme différentes d’autres. Par exemple, certaines espèces d’araignées pourtant semblables peuvent être seulement identifiables en observant leur organe génital au microscope ! Toutefois, l’arrivée de l’analyse ADN a révolutionné la classification biologique. Des groupes entiers d’animaux et de plantes ont été reclassifiés en raison de leur profil ADN. Plus encore, en faisant de la manipulation génétique, il est devenu possible de mélanger les matériels génétiques afin de créer de « nouveaux » types d’organisme par croisements sélectifs. L’éthique de ces procédés est devenue sujet à discussion sans fin, par exemple quand des cultures génétiquement modifiées sont produites, la plupart des gens estiment qu’elles sont mauvaises pour les humains parce que non naturelles. Depuis cette révolution technologique, un nombre gigantesque de nouvelles espèces a été rajouté aux nomenclatures et il est probable que des millions sont encore à découvrir, tout particulièrement dans le sol et le fond des océans.

En Indonésie, les chercheurs découvrent plein de nouvelles espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles, d’amphibiens et de poissons chaque année, tandis que la liste des invertébrés (mollusques, araignées, insectes et crustacés) croît également tous les ans. Lors de ma première expédition à Seram, aux Moluques, j’ai collecté des reptiles et des amphibiens pour le British Museum et le musée d’histoire naturelle de Bogor, et un certain nombre d’entre eux, dont deux types de geckos, ont depuis été reconnus comme nouveaux. Si vous cherchez, vous aller sûrement trouver !

Les zoos et collectionneurs privés des pays développés ont un appétit insatiable pour les nouveaux « produits » et la découverte de nouvelles espèces est aussi le signal pour les commerçants de la nature de commencer à mettre les locaux en chasse contre rétribution. L’histoire de la tortue à cou de serpent de l’île de Roti, un petit animal qu’on ne trouve que sur cette île de Nusa Tenggara Timur, en est une parfaite illustration. Etant un animal « nouveau », il était donc très désirable pour les amateurs de tortues du monde entier et, après avoir été découverte au début des années 90, cette tortue a été prélevée presque jusqu’à l’extinction. Et son commerce légal a fini par être interdit en 2001. Mais elle a bien évidemment continué à être illégalement capturée et commercialisée, étant vendue sous le nom d’espèces plus communes afin de tromper les autorités. Sa consommation en tant que nourriture par les locaux (qui la connaissait depuis des générations), sa prédation par les cochons, le rétrécissement des marais qui constituent son habitat et les dégâts causés par les pesticides chimiques, tout cela a contribué à menacer la survie de cette espèce.

Depuis le développement de la technologie GPS, il est devenu plus facile de localiser avec une grande précision les endroits où on a découvert une « nouvelle espèce ». Il est également important que les chercheurs incluent les coordonnées (et les cartes qui vont avec) des endroits où ils ont déniché des nouvelles espèces lorsqu’ils publient les résultats de leurs recherches dans un article scientifique. Bien évidemment, les exploitants utilisent aussi ces informations pour trouver avec une plus grande facilité qu’avant ces animaux ou ces plantes. A l’intérieur de la communauté scientifique, il y a des gens qui proposent désormais de limiter la précision des informations disponibles sur la localisation des nouvelles espèces afin d’éviter leur chasse par les commerçants.

Plein d’espèces sont protégées par la loi indonésienne et la liste s’accroit tous les ans. Les recensements écologiques sont cependant chers, prennent du temps et sont basés sur des connaissances scientifiques que peu de gens possèdent. Les lois protégeant la nature sont souvent basées sur des estimations des populations résidant dans la nature, ce qui est difficile à évaluer avec précision. Les commerçants sont habiles à faire du lobbying alors souvent, les relevés sont plutôt établis en fonction de critères économiques plutôt que scientifiques.

Il est difficile de définir une valeur économique à un écosystème naturel en prenant compte tous les services qu’il rend ou pourrait rendre. Notre compréhension des écosystèmes marins et terrestres, et la façon complexe dont toutes les espèces interagissent en leur sein, est encore très limitée. Les gouvernants et industriels doivent mettre en balance le potentiel actuel et aussi à long terme, bien qu’il soit difficile à établir, d’une forêt pluviale par exemple, avec les préoccupations économiques à court terme. Et de vastes sections de jungle immaculée ont été rasées pour laisser la place à des palmiers à huile comme c’est le cas à Sumatra et à Kalimantan. Pour moi, c’est comme si des gens illettrés découvraient une bibliothèque et se mettaient à brûler les livres pour avoir chaud avant même que quiconque ait une chance de les lire ! Nous ne saurons jamais combien d’opportunités, et de milliards de dollars, ont été perdus pour toujours, en termes de nouvelles médications, de nourriture, de composants chimiques et autres produits plein de bienfaits contenus dans ces forêts disparues.

Chaque organisme qui a évolué pour faire partie de la biosphère a un sens ici. Pour moi, la découverte d’une nouvelle espèce aide à garder la flamme de l’espoir allumée. Alors quand vous allez dans votre jardin et que vous voyez un animal ou une plante que vous n’aviez jamais vus auparavant, imaginez que vous êtes peut-être la première personne à les voir. C’est une pensée merveilleuse !

Pour toutes questions sur la vie naturelle en Indonésie, posez vos questions par courriel à [[email protected]>[email protected]], ou sur Facebook à « Ron Lilley’s Bali Snake Patrol »

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