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Vida kusmartono, l’Indiana Jones du Kalimantan

On en rêvait. Entrer dans le bureau d’une archéologue. Découvrir dans un bric-à-brac de brocante des trésors enfouis, des amulettes secrètes ou des manuscrits rongés par la poussière. Le rêve s’envole. L’archéologue en question, visage jovial et bonne humeur communicative, vous barre le passage. Interdiction d’entrer. « Pas question que vous mettiez le nez là-dedans, c’est tellement le désordre que rien que d’y penser, la honte me submerge ! ». Tant pis, on se contentera d’imaginer cette caverne d’Ali Baba. Vida Kusmartono est ethno-archéologue. Directrice du bureau régional d’archéologie de Banjarmasin, le Balai Arkeologi Banjarmasin, elle accueille les visiteurs devant la façade imposante du musée. « Vous avez de la chance de me trouver, je rentre de quatorze jours de fouilles dans le centre de l’île ! ». A voir les photos de son expédition, navigation sur une pirogue fuselée, traversée d’un fleuve truffé de rapides, fouilles en plein soleil, il semblerait que la jeune femme ne craigne pas le manque de confort… Itinéraire d’une grande curieuse toujours en quête d’aventures.

Suivre la trace des morts« Je suis née à Surabaya, raconte-t-elle. J’ai passé une partie de mon enfance à Monterey en Californie car mon père, officier dans la marine, a été envoyé là-bas. C’est vrai que j’ai su très tôt que je voulais devenir archéologue. Disons que j’ai toujours été obsédée par les voyages. L’influence cinématographique d’Indiana Jones doit aussi y être pour quelque chose ! Mes parents pensent que mon frère et moi sommes de grands voyageurs car contrairement à la plupart des Javanais, ils n’ont pas enterré nos ari ari (placenta) dans le jardin. Au contraire, ils les ont jetés à la mer après notre naissance ». Au lycée déjà, elle entreprend des fouilles au sud du temple hindouiste de Prambanan, à Ratuboko. Etudiante à l’Université de Gajah Mada à Yogyakarta, elle étudiera l’archéologie pendant huit années. Ses recherches dans l’Est de Java la mèneront à écrire une thèse sur les céramiques chinoises (« Artifactual Study on the Chinese Ceramics »). « Au 14ème siècle, il y a une baisse de la quantité de la céramique, j’ai cherché un lien avec la chute économique qui a suivi une guerre et la qualité des céramiques importées », raconte la passionnée.
En 1994, elle débarque à Banjarmasin et commence son travail au musée d’archéologie de la ville situé dans la banlieue toute proche de Banjarbaru. Tout en travaillant, elle achèvera ses études par un « Master Degree » en archéologie avec une spécialité en archéologie de la mort dans le département d’Archéologie et d’Anthropologie de l’Université Nationale Australienne de Canberra en 2005. « Ce qui me passionne, ce sont les lieux où reposent les morts, explique-t-elle dans son bureau climatisé. Mais pour cela, je suis obligée de m’intéresser à tout le reste. J’essaie de comprendre comment on enterrait les morts il y a des milliers d’années. Tout ce que les Dayak font dans la vie est directement relié à la mort. Et cela dans tout le Kalimantan. Les plus grands rituels concernent toujours la fin de la vie. Je fais des interviews et des observations sur les lieux où étaient les peuplements des ancêtres. Dernièrement, j’ai achevé une étude sur l’installation des morts chez les Ngaju ». Chaque tribu a développé sa propre culture funéraire. Vida présente une carte d’un village où les morts sont enterrés tout près des habitants. Dans un autre village, c’est l’inverse : on les isole. Ils sont donc déconnectés de la vie. Voilà le cœur des recherches de cette archéologue.

Entrer dans l’intimité des villages
A Banjarmasin, le musée d’archéologie est ouvert depuis 1994. « Ici, nous ne présentons que des découvertes de la zone de Kalimantan-Sud, Kalimantan-Centre, Kalimantan-Est et Kalimantan-Ouest. Toutes les études portent donc sur la culture dayak. Nous avons de plus en plus de visiteurs depuis ces dernières années. Il y a ici des objets vieux de 18 000 ans ! », poursuit-elle. Mais pour mener à bien des recherches dans les zones isolées de Bornéo Sud, certaines autorisations sont nécessaires. « En tant que fonctionnaire, avance Vida, je commence par apporter une lettre du gouvernement de Kalimantan-Centre, par exemple. J’arrive sur place avec cinq personnes. Je transmets la lettre de reconnaissance au chef du district. Il me donne ensuite une autre lettre pour le chef de la municipalité que je fais parvenir aussitôt au chef du village ! Je dois tout leur expliquer très longuement. Ce que je veux faire, pourquoi je le fais, dans quel but, etc. Tout cela s’effectue bien sûr en présence du kepala adat, le chef coutumier. Le lendemain de notre arrivée, nous tuons le poulet tôt le matin. Plus haut sur la rivière, ce sera du porc. Chaque rituel est effectué afin que tout le monde soit heureux. Ainsi l’esprit du village le sera aussi. La première partie du travail consiste à multiplier les interviews. On touche vraiment à l’intimité en abordant le lien avec leurs morts. Après ma visite qui peut durer plusieurs semaines, j’écris un rapport très précis sur les découvertes. Pour mieux me faire comprendre dans mes recherches, j’ai dû apprendre le bahasa Bukat. ».

L’archéologie en Indonésie est un héritage direct des Hollandais. Le gouvernement indonésien a un réel intérêt pour cette spécialité. Une exception en Asie. Ce département dépend du Ministère de la culture et du tourisme. Malheureusement, la région de Kalimantan n’est pas suffisamment aidée. « Avant 1994, nous n’avions qu’un centre pour le Kalimantan, les Moluques et l’Irian Jaya, se lamente Vida. Pour la seule île de Java, il y a trois centres en tout ! Au vu de l’étendue de nos recherches ici, ce n’est pas suffisant. Et seules quinze personnes travaillent dans ce secteur. Elles
sont soixante à Yogyakarta et quatre-vingts à Jakarta ! ». Ce ne sont pas les découvertes fondamentales qui manquent dans le Kalimantan. La dernière en date, les « hand prints » de Jean-Michel Chazine, un archéologue français, a fait le tour du monde. Ces empreintes de mains découvertes entre 1992 et 1997 datent de
10 000 ans avant notre ère. Elles remettent en question les théories sur le peuplement du Sud-est Asiatique et montreraient ainsi que l’influence pré-austronésienne se serait développée plus à l’ouest que ce que les spécialistes pensaient…

Vida, quant à elle, poursuit ses recherches. Elle travaille en ce moment sur les peuplements préhistoriques à Nanga Balang, une zone perdue du centre de Bornéo.

Pas de doute, avec cette Indiana Jones au féminin, l’archéologie a encore de beaux jours devant elle au Kalimantan…

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