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Mahakam express

En cette fin d’après-midi, notre canoë à moteur file à toute allure sur le lac Semayang. Au loin, quelques pêcheurs posent des filets sur les rives et nous observent, impassibles. Flegmatiques aussi les cangak merah, hérons mauves qui peuplent la zone. Le bruit assourdissant du moteur ne semble pas les déranger. Ils en ont vu d’autres. Deux heures déjà que nous volons sur cette immensité bleue de 13 000 hectares. Ce n’est que le début du voyage sur le Mahakam, fleuve mythique, le plus long de Kalimantan. C’est le long de ses 800 kilomètres que l’explorateur Carl Bock tenta, en vain, de dénicher des cannibales en 1878. Ca ne l’empêcha pas d’être le premier Blanc à rencontrer des orangs-outans et de rapporter de son périple un récit ethnologique qui passionna les foules. Si les coupeurs de tête et autres bestioles légendaires ont aujourd’hui disparu, la zone offre un merveilleux terrain de jeux pour les voyageurs de tout poil.

Notre périple commence devant une cuisse de poulet bien grasse dans un warung de Kota Bangun, à une centaine de kilomètres de Tangarron, ancienne capitale du sultanat de Kutai. Nous voilà embarqués pour quatre jours sur la partie basse du Mahakam. En cette matinée torride, Fida, désignée grande prêtresse de l’expédition, est collée à son téléphone portable. A coup de sms, elle gère une histoire sentimentale compliquée. D’un léger mouvement de sourcil, elle m’indique que notre embarcation nous attend. Le long du quai, une pirogue rouge à moteur conduite par un Indonésien filiforme rugit. A peine assises à l’intérieur, la largeur de notre embarcation ne dépasse pas un mètre, nous voila parties à toute vitesse en direction des trois danau, lacs, qui balisent le cours du Mahakam. Ici, les oiseaux sont légion : martins pêcheurs multicolores, bangau tongtong, sortes de petites cigognes, aigrettes immaculés, aigles majestueux….

Par endroit, les hautes herbes, les eceng gondok envahissent la surface de l’eau. Nous glissons alors sur une prairie verte. Un phénomène fréquent pendant la saison des pluies qui perturbe la pêche : les poissons, en manque d’oxygène, peinent à se reproduire. Sur le Mahakam, tout se fait au bord de l’eau. Aussi bien sa toilette matinale que la vidange des mobylettes, les discussions du soir que la lessive hebdomadaire. Sur les rives, les boutiques offrent un petit ponton aux ces, nom donné aux canoës à moteur. Magasins de photos, droguerie ou stations-service ont ainsi « pignon sur fleuve ». En fin d’après-midi, les coupoles des mosquées reflètent leurs dômes argentés dans les eaux sombres.

En pays dayak

Sur les quais de Tanjung Isuy, petite cité près du lac de Jempang, un petit groupe de femmes écaille en riant des haruan, poissons pêchés dans le fleuve. Une très vieille femme, les dents noires, fume une cigarette en silence. Nous voilà en pays dayak. « Vous n’avez pas de chance car aujourd’hui, personne n’est souffrant dans le village, nous lance un jeune musclé aux bras criblés de tatouages. Quand quelqu’un de suffisamment riche tombe malade, il organise une célébration où l’on sacrifie un buffle». On se consolera en assistant à une prière collective dans une maison où est célébré un mariage. Dans le losmen, Yolande et Ben, deux touristes hollandais racontent leur demi-année sabbatique à déambuler de l’Indonésie aux Fiji.

Le lendemain matin, sur la route vers Muara Pahu, les affluents sinueux du fleuve offrent des berges tapissées de jardins potagers. Là, des femmes, en partance pour le marché, remplissent leur panier de melons, citrouilles, maïs, mangues, aubergines… Soudain, une péniche transportant une montagne de charbon barre l’horizon et manque de nous broyer corps et biens. Ces géants du fleuve détruisent l’écosystème du fleuve en toute impunité. Mais qui s’en inquiète ? En arrivant dans la rue principale de Muara Pahu, long ponton en bois traversé sans cesse par des nuées de mobylettes, changement d’ambiance. Pak Maman nous accueille pour le déjeuner. Avec sa femme, il n’en finit pas de se plaindre de la hausse du prix de l’essence. Depuis deux jours, c’est la pénurie de carburant dans la région. Et ce n’est pas la première fois. Paradoxe du Kalimantan, une région très riche en hydrocarbures …

En attendant les dauphins

Histoire d’oublier les files d’attente à la pompe, Pak Acoh, physique d’aigle buriné, c’est un Bugis de Sulawesi, nous embarque dans son ces à la recherche du nasique, le singe de Bornéo au nez monumental. Après une longue attente, les membres d’une même famille en pyjamas blancs daignent nous jeter un coup d’œil. Ils disparaîtront après deux minutes… Autre jeu de patience : l’observation des pesut, dauphins d’eau douce (cf. La Gazette de Bali n° 31 – décembre 2007°) depuis le ponton du centre d’information du Mahakam à Muara Pahu. Sans succès. Ce n’est que le lendemain à six heures du matin qu’un coup de téléphone nous préviendra de leur arrivée. Le groupe de huit individus, dont deux bébés, jouera au chat et à la souris pendant deux heures. Quel spectacle ! Après cette rencontre avec le cousin timide de Flipper, direction Melak, importante ville implantée sur le fleuve. De là, nous grimpons sur des ojek, moto-taxis, afin de rejoindre le parc de Kersik Luwai. C’est ici que se cache la célèbre orchidée noire. Ce rodéo de trois heures sur le bitume s’achève sur les bords du Mahakam, envahis par le crépuscule.

Le ferry qui nous ramène à Samarinda, à l’embouchure du fleuve, mettra quatorze heures à atteindre sa destination. L’occasion de dîner d’un nasi goreng fumant face au générateur rugissant et de passer une longue nuit dans la fumée des kretek. Au petit matin, notre navire continue sa route au grès des arrêts où tout le monde s’entasse pour monter ou descendre caisses, motos, poules… Tout un spectacle. Une petite nuit d’insomnie, voilà le prix à payer pour mieux goûter à l’atmosphère du Mahakam ! Un voyage incontournable si vous vivez dans l’archipel.

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